Le 19 décembre 2022, le Cadre mondial de Kunming-Montréal pour la biodiversité a été adopté lors de la 15e Conférence des Parties (COP15) à la Convention sur la diversité biologique des Nations unies. Parmi ses 23 objectifs centrés autour de la conservation de l’environnement et de la préservation de la biodiversité se trouve l’initiative 30x30.

Cette mesure phare vise à désigner 30 % des milieux terrestres et 30 % des milieux maritimes comme des aires naturelles protégées d’ici 2030. Elle prévoit également de soutenir les efforts de protection de l’environnement des pays dits en développement en leur versant 50 milliards de dollars d’ici 2050, ou encore de promouvoir les savoirs autochtones, l’usage durable des territoires, le respect des droits des communautés riveraines ainsi que le recours aux mécanismes de compensation des pollutions émises en soutenant des projets de conservation de la biodiversité.

L’initiative 30x30 fait cependant abstraction des importants conflits suscités par la conservation de l’environnement dans les pays du Sud, où les aires naturelles protégées tendent à constituer des espaces d’exclusion totale des communautés riveraines et sont souvent perçues comme un héritage colonial.

Augmenter la surface de ces aires protégées envenimerait inévitablement les tensions : en effet, de nombreux pays du Sud sont confrontés à une importante pression foncière, d’une part en raison de leur forte croissance démographique et, d’autre part, en raison de leurs économies orientées vers l’extraction des ressources naturelles (bois, énergies et minerais) et l’agriculture à grande échelle destinée à alimenter les marchés des pays dits développés.

La Côte d’Ivoire, premier exportateur de cacao et producteur important de café, d’huile de palme et d’or, en est un bon exemple. Selon la Banque mondiale, en 2020, 66,7 % de son territoire était consacré à l’agriculture. Cette situation est similaire au Kenya, premier exportateur de thé au monde et où 48,5 % du territoire sert aux cultures. Ces pays comprennent déjà une part importante d’aires naturelles protégées, soit, en 2016, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature, 22,9 % du territoire ivoirien et 12,4 % du territoire kenyan.

Une protection de l’environnement militarisée

En Afrique de l’Est, tout comme en Afrique de l’Ouest, la protection des aires protégées est généralement assumée par des gardes forestiers constituant l’un des corps des forces nationales de sécurité. Cette militarisation de la protection de l’environnement est également utilisée, dans de nombreux pays, comme un moyen de contrôle des régions éloignées. Elle s’accompagne non seulement de graves atteintes aux droits de la personne, mais également d’un détournement des règles de protection de l’environnement par les gardes forestiers pour exercer une prédation économique sur les communautés riveraines.

Ces contraintes et violences exercées en vertu de la protection de l’environnement s’ajoutent alors aux impacts sociaux et environnementaux générés par l’exploitation des ressources naturelles. En Afrique, ces industries s’implantent parfois à proximité, voire au sein même d’aires protégées, les institutions financières internationales incitant les gouvernements à utiliser l’extraction des ressources comme un levier de développement.

Exacerbant les tensions locales et le ressenti à l’encontre des autorités nationales, ces situations génèrent de nombreux conflits locaux qui peuvent par la suite être instrumentalisés par des groupes armés cherchant à étendre leurs zones d’influence.

C’est ainsi qu’au Burkina Faso, pays en proie à une crise sécuritaire majeure depuis 2015, les deux principales aires protégées du pays sont devenues les deux premiers foyers de violence. En 2018, l’attaque du site minier de Boungou, alors exploité par l’entreprise québécoise SEMAFO, est survenue à une dizaine de kilomètres des aires protégées du parc national d’Arly.

Conflits environnementaux et groupes armés internationaux

Les parcs nationaux du nord de la Côte d’Ivoire et du Bénin abritent également des zones d’implantation des groupes armés cherchant à étendre le conflit sahélien au reste de l’Afrique de l’Ouest. Ces groupes chassent alors les gardes forestiers et permettent aux populations riveraines de tirer profit des aires protégées, que cela soit pour la chasse (puisque les prix des permis au sein des territoires naturels ne sont accessibles qu’aux touristes internationaux), l’agriculture, l’élevage ou l’exploitation artisanale des minerais.

Si les populations riveraines profitent de cet accès, ce n’est pas par manque de conscience environnementale, bien au contraire. Elles sont souvent très sensibles aux enjeux de protection de la biodiversité. Mais les frustrations, les injustices et les restrictions d’usage générées par ces pratiques de conservation de l’environnement les affectent considérablement.

Les communautés riveraines des aires protégées des pays du Sud subissent à la fois les principaux impacts environnementaux associés aux économies du Nord, les principaux impacts des changements climatiques et les principales restrictions imposées pour préserver l’environnement.

Au final, soutenir des politiques de conservation environnementale inadéquates et déconnectées de la réalité des communautés riveraines risque davantage de susciter la destruction de la biodiversité que sa préservation. Il est donc essentiel de les adapter, en concertation avec ces populations.

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