Le destin tragique de Fritznel Richard, à quelques jours de Noël, a remis en lumière la profonde vulnérabilité que vivent les personnes migrantes qui parviennent jusque chez nous.

Issu d’Haïti, M. Richard est mort après avoir été abandonné par un passeur qui devait lui faire traverser la frontière américaine à pied, en pleine tempête de neige. Établi ici depuis environ un an, il est vite devenu incapable de subvenir à ses besoins dans une ville comme Montréal, où les loyers et le prix des aliments montent en flèche. Sans soutien et sans revenus suffisants – et toujours en attente du permis de travail qui lui aurait permis de les gagner –, il a dû se résoudre à risquer sa vie, une fois de plus, dans l’espoir d’améliorer son sort et celui de sa famille. Ce choix déchirant l’a cette fois mené vers une mort cruelle.

Cette grande vulnérabilité transparaît aussi dans les deux dernières éditions du rapport Signes vitaux du Grand Montréal de la Fondation du Grand Montréal⁠1, qui portent respectivement sur la situation des femmes et des filles et celle du logement dans la région métropolitaine.

Dans les deux cas, les données analysées ont confirmé que les personnes migrantes sont parmi les plus susceptibles de faire face à de la discrimination menant vers la pauvreté et l’exclusion sociale.

Leur risque de vivre des problèmes de santé mentale, d’être victimes d’exploitation ou de violence, ou d’habiter un logement inabordable ou inadéquat est invariablement plus élevé que la moyenne. Dans certains cas, c’est même l’itinérance qui les attend. En effet, des refuges pour personnes en situation d’itinérance voient désormais des personnes migrantes cogner à leur porte. Certains y estiment que jusqu’à 10 % de la population itinérante de Montréal serait maintenant formée de personnes demandeuses d’asile ou sans-papiers. C’est inédit.

Les organismes communautaires du grand Montréal prennent aussi la pleine mesure de la situation : l’arrivée croissante de ces personnes exerce une forte pression sur leurs ressources limitées et leur capacité à livrer leurs services. Au-delà du simple nombre, cela engendre un défi additionnel pour les bénévoles et le personnel de ces organismes, qui ne sont souvent ni outillés ni formés pour venir en aide aux personnes qui vivent une telle détresse. Les obstacles culturels ou linguistiques peuvent rendre la communication plus difficile avec des gens qui, en outre, connaissent encore mal les institutions et les codes sociaux qui sont les nôtres, et leurs droits en tant que personnes demandeuses d’asile, réfugiées ou sans-papiers. Quant aux organismes spécialisés dans l’accueil des personnes migrantes, ils ne suffisent déjà plus à la tâche.

Marginaliser ou accueillir

Un peu partout dans le monde, l’instabilité politique, la grande pauvreté, les conflits armés et – de plus en plus – l’impact des changements climatiques poussent des gens à se déraciner et à fuir vers nos frontières. Y dresser des murs plus hauts ou plus étanches est non seulement contraire aux valeurs d’humanisme, de générosité et de solidarité qui doivent nous guider, c’est aussi une stratégie parfaitement futile qui ne fait que précariser encore plus des personnes qui luttent déjà pour survivre. Considérant la gravité des multiples crises qu’elles fuient, au prix de tous les sacrifices et parfois au péril de leur vie, rien ne pourra véritablement les arrêter. Quoi qu’on en pense, elles continueront à parcourir le chemin jusque chez nous. Le choix qu’il nous reste, c’est de les marginaliser davantage, ou bien de les accueillir avec ouverture et compassion. Des boat people venus du Viêtnam dans les années 1970 jusqu’aux personnes réfugiées issues d’Haïti ou de Syrie au tournant des années 2010, et plus récemment encore celles venues d’Ukraine, d’Iran ou d’ailleurs, le Québec a toujours réussi à accueillir ceux et celles qui ont dû tout quitter. Nous l’avons accompli avant, nous pouvons l’accomplir encore.

La valeur d’une société se mesure par la manière dont elle traite les plus démunis et, par extension, comment elle accueille ceux et celles qui fuient la famine, la répression ou la guerre dans l’espoir de trouver une vie digne et heureuse. Trop souvent, le discours tenu à propos des personnes réfugiées a pour effet de les déshumaniser et d’en faire des abstractions ou, pire encore, de les qualifier comme des profiteurs ou des envahisseurs. Ce sont pourtant des êtres humains comme nous. Et l’attitude que nous avons à leur endroit est révélatrice de notre propre humanité. C’est pourquoi nous devons redoubler d’ardeur pour faire du Québec une terre d’accueil humaniste, généreuse et dont nous pourrons être fiers.

1. Consultez le rapport de la Fondation du Grand Montréal Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion