L’IRIS publiait la semaine dernière une étude exposant les risques que fait peser le développement de l’industrie privée des soins virtuels sur l’accès équitable aux soins et la pérennité du système public.

Profitant du contexte de la pandémie de COVID-19, les entreprises du secteur ont connu une croissance fulgurante au cours des deux dernières années, certaines d’entre elles ayant quintuplé leur chiffre d’affaires depuis 2020. Plutôt que de refermer les brèches légales favorisant cette tendance inquiétante comme le recommandait notre étude, le gouvernement Legault a choisi d’ouvrir toute grande la porte à cette nouvelle forme de médecine privée à but lucratif, laissant craindre l’émergence d’un véritable système de santé à deux vitesses au Québec.

C’est sans tambour ni trompette que le gouvernement a adopté le 7 décembre un décret ayant trois effets principaux : 1) officialiser l’extension de la couverture publique aux services de télémédecine qui avait été temporairement accordée au début de la pandémie ; 2) autoriser que des services médicaux en téléconsultation puissent être couverts par des régimes privés d’avantages sociaux ou d’assurance collective même s’ils sont déjà couverts par le régime public ; 3) autoriser les médecins du régime public à vendre leurs services aux entreprises privées de soins virtuels.

L’adoption en catimini et sans débat public de modifications aussi importantes au Règlement d’application de la Loi sur l’assurance maladie est pour le moins préoccupante.

Malgré leur caractère technique et rébarbatif, ces modifications méritent d’être portées à l’attention du public. En effet, elles sont susceptibles d’avoir des conséquences majeures puisqu’elles ébranlent deux piliers importants du système public québécois : l’interdiction de la pratique mixte (publique-privée) pour les médecins et l’interdiction des assurances duplicatives. En cela, on pourrait même affirmer que ces nouvelles dispositions réglementaires sont en contradiction flagrante avec l’esprit de la loi dont elles sont censées permettre l’application.

En effet, ces deux interdictions, inscrites dans la Loi sur l’assurance maladie depuis son adoption, ont été mises en place pour éviter le développement d’un marché privé de la santé parallèle au système public. On souhaitait ainsi s’assurer que les ressources professionnelles existantes soient mises à la disposition de l’ensemble de la population et prévenir leur détournement du réseau public par des entreprises à but lucratif vendant leurs services aux seules personnes aptes à payer ou dotées d’une assurance privée.

Or, c’est précisément ce risque que fait planer la croissance extrêmement rapide de l’industrie privée des soins virtuels. En effet, cette croissance s’accompagne d’efforts de recrutement massif qui se traduisent dans l’explosion des dépenses de rémunération des entreprises du secteur. Certaines d’entre elles ont vu ces dépenses bondir entre 200 % et 900 % en deux ans, dans un contexte où la pénurie de personnel est particulièrement criante dans le domaine de la santé et des services sociaux et où le réseau public peine déjà à embaucher et à retenir le personnel nécessaire pour répondre aux besoins de la population.

Malgré les risques que pose cette industrie pour la pérennité du système public et l’accès équitable aux services, le gouvernement Legault, Investissement Québec et la Caisse de dépôt et placement n’ont pas hésité à soutenir financièrement l’essor de certaines des entreprises de soins virtuels par des investissements et des prêts totalisant plusieurs millions de dollars depuis 2018.

Il faut savoir également que les modifications réglementaires majeures entrées en vigueur le 1er janvier ont été adoptées à la suite de pressions directes de l’industrie auprès du gouvernement, menées notamment par Alexandra Charest (fille de l’ancien premier ministre du Québec) pour le compte de Dialogue, un des acteurs importants du secteur. Mentionnons aussi que White Star Capital, l’entreprise dans laquelle Pierre Fitzgibbon détenait des intérêts dont il refusait de se départir (ce qui lui a valu plusieurs blâmes de la commissaire à l’éthique), est un des principaux actionnaires de cette même plateforme de soins virtuels.

Le décret adopté derrière des portes closes par le gouvernement sert certainement l’intérêt de ceux et celles qui espèrent tirer profit du développement d’un marché lucratif de la santé. Il constitue cependant une brèche majeure dans l’édifice réglementaire permettant d’éviter le développement au Québec d’un système de santé à deux vitesses. En cela, il devrait être un objet de préoccupation pour l’ensemble de la population.

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