David Fairchild est rarement cité dans la liste de scientifiques ayant changé le cours du monde, contrairement à Einstein, Bell, Oppenheimer, Fleming ou Curie. Il a cependant influencé toute une époque.

Botaniste au service du gouvernement américain au début du siècle dernier, Fairchild avait pour mandat de répertorier des espèces non envahissantes de partout dans le monde en mesure d’être exploitées en sol américain dans un but commercial. Son apport a donné un avantage économique et social indéniable aux États-Unis, conférant une sécurité alimentaire à un pays en progression démographique, principalement via l’immigration, et financière avec l’exploitation du coton notamment. Sa vision dépassait le simple cadre de son emploi. Il a fondé un jardin botanique qui a encore une fonction pédagogique et de recherche et a écrit The World Grows Round My Door, récit dans lequel son jardin devient une façon de réfléchir au monde, à ses interrelations, à la nécessité de la science et de la communauté.

Comment Fairchild jugerait-il l’expérience humaine depuis 50 ans, basée sur une exploitation de ressources, matérielles et humaines, depuis longtemps axée sur l’essor des individus et la gloire des nations plutôt que sur le développement des connaissances et de l’esprit humain ? Bien que l’expérience de Fairchild ait été de transformer une économie et d’assurer la subsistance d’un peuple et d’en assurer une vie plus prolongée par la science, j’imagine qu’il n’aurait pas vu d’un bon œil l’intensité actuelle de consommation de la population.

Alors que vient de se terminer la période des Fêtes avec tous ses excès, la Conférence des participants sur la biodiversité qui s’est pourtant tenue en décembre à Montréal n’a certainement pas fait partie des discours familiaux de la majorité au Québec.

L’humain doit d’abord voir à l’humain. Mais depuis un moment, nous réalisons que nous devons aussi ajouter « et à son environnement ». Il faut, à la manière de Fairchild, trouver ce qui permet de progresser sans nuire, en préservant un équilibre, en développant un sens de la communauté, des interrelations.

Au-delà de l’environnement

La précédente affirmation peut s’apparenter à un vœu pieu, mais il ne peut être aussi concret que dans le mandat de santé de la population. Il existe partout dans le monde des connaissances sur la santé des individus qu’il faut répertorier et offrir au plus grand nombre. Et pour reprendre la maxime première de notre Loi sur les services de santé et les services sociaux : ajouter de la vie, de la santé à la vie et du bien-être à la santé. Ceci exige et implique une intégration harmonieuse de principes de développement humain et économique. Non pas la science au service de l’économie, mais l’économie au service de la science dans le but de servir l’humain.

On cite souvent dans le réseau de la santé l’objectif de mettre le patient au centre du système. Cette vision de service individualisé devrait par ailleurs inclure le fait que c’est une ou des communautés que l’on doit servir, et pas le seul individu.

Le bien-être du grand nombre ne peut venir par une personnalisation à l’extrême. Ceci exigerait une quantité de ressources que notre écosystème ne possède pas, une surconsommation qui ne peut être pérenne.

À l’instar de bien des débats sociaux, il faut accepter en santé de confronter volontés individuelles et collectives. Planter, à l’exemple de Fairchild, des espèces en mesure de subvenir aux besoins du plus grand nombre tout en développant aussi des spécialités rares et simplement belles, accepter que des décisions assurant les collectivismes exigent des efforts de chacun et de tous et pas seulement l’expression de droits individuels.

En médecine, il faut songer à revoir la priorisation de certains programmes, bâtir l’équilibre entre les soins nécessaires pour chaque individu et ceux qui s’adressent au plus grand nombre. Il faut surtout continuer à développer la science avec les données recueillies de chaque cas, semer les fondements de principes que seuls les grands nombres prouveront, agir avec assurance, mais aussi avec précaution pour offrir la meilleure expérience de vie en santé, en bien-être.

Avec ces grands principes doivent venir des actions concrètes pour confirmer au quotidien notre intention de progresser ensemble, avec le dessein de faire avancer l’espérance de vie de chacun et de l’ensemble de la population. Les réformes, de toute époque, ne doivent pas servir la preuve du meilleur gouvernement, mais du meilleur moyen de servir nos volontés collectives, si tant est que nous soyons encore capables de vouloir ensemble et pas seulement en fonction de motifs intéressés.

Parlant de ses plantes, Fairchild disait qu’il devait s’en occuper seul ou avec quelqu’un qui se soucie d’elles. Ainsi, agir en bon parent, avec bienveillance, avec les besoins de l’un et de tous en tête. Je nous souhaite donc un jardin qui puisse profiter de la diversité, de l’inclusion et du bon sens pour 2023 et les années à venir. Parce que voir un jardin arriver à maturité prend du temps et une patience que notre société a perdue en même temps que la vertu de ses jardiniers.

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