De retour d’un séjour à Helsinki, Joël Boucher, ex-enseignant et directeur d’école, s’est intéressé au système d’éducation finlandais, qui propose une approche différente de l’école québécoise

Lorsqu’il est question des mauvais résultats scolaires d’un élève, l’esprit populaire nous dit, qu’on en ait conscience ou non, que les choses sont ainsi et qu’on n’y peut rien. Ce fatalisme bien ancré cache mal notre manque d’ambition collectif. Invoquer le sophisme frivole de la défavorisation ou de la multiethnicité pour expliquer nos résultats décevants, cela friserait la malhonnêteté. Les causes sont ailleurs.

Au Québec, nous sommes à des années-lumière de l’enseignement finlandais, centré sur le plaisir d’apprendre. Comment se rapprocher de cet idéal ? Commençons par abolir les évaluations avec ces bulletins chiffrés à date fixe et concentrons-nous sur l’essentiel, en l’occurrence l’émergence naturelle du plaisir d’apprendre. Ensuite, quelles sont les pistes de solution pour rendre l’école vivante aux yeux des enfants pendant que l’imposition de la tâche boulimique décourage un trop grand nombre d’enseignants à y poursuivre leur carrière ?

La décentralisation comme moteur de fonctionnement

En Finlande, bien que le ministère de l’Éducation insiste parfois sur des pratiques qui ont fait leurs preuves, la nature très décentralisée du système éducatif laisse beaucoup de latitude aux écoles. « La différence est attribuable à la liberté dont jouissent les municipalités en matière de gestion, où chaque école décide de quelle façon elle dépensera les sommes qui lui sont allouées, ce qui explique également l’efficacité de nos budgets », précise Pasi Sahlberg, ambassadeur du système éducatif finlandais.

Vous avez bien lu : les centres de services scolaires n’existent pas en Finlande. Les écoles appartiennent aux municipalités, mais elles sont financées par l’État.

Des économies d’échelle certaines, à ne pas en douter, avec une structure gouvernementale en moins. Voilà une avenue à explorer lorsqu’on examine l’exemple d’un pays qui s’est dégagé une marge de manœuvre financière pour offrir, notamment, la gratuité scolaire jusqu’à l’université, y compris fournitures scolaires et repas chaud jusqu’à l’âge de 16 ans.

Le rôle du Conseil supérieur de l’éducation

Au Québec, le Conseil supérieur de l’éducation est un organisme consultatif qui a pour fonction de conseiller le ministre de l’Éducation. Or, pas plus tard qu’en 2019, le ministre de l’Éducation de l’époque avait balayé du revers de la main une recommandation de ce Conseil qui réclamait l’élimination du bulletin chiffré au primaire au profit d’un outil d’information mettant en valeur la progression des apprentissages des élèves et qui, de surcroît, serait nettement plus clair pour les parents. L’objectif consistant à mettre fin au « bourrage de crâne » et à la logique de concurrence entre élèves qui s’installe quand on les situe par rapport à la moyenne de groupe. Humaniser l’école passe par un fonctionnement où l’élève se compare à lui-même et par rapport à ce qu’il doit atteindre, point.

En revanche, le Conseil supérieur de l’éducation détient le dernier mot en Finlande. Les aspects pédagogiques ne relèvent pas du politique. Seul le budget est la prérogative des élus. À leurs yeux, l’éducation est trop importante pour être laissée entre les mains d’élus dont la présence est éphémère, surtout lorsqu’une vision rime avec orientations à long terme. On prend tellement l’école au sérieux dans ce pays que l’objectif premier est de permettre à chaque enfant d’atteindre son plein potentiel et de développer son estime de soi et le plaisir d’apprendre tout en respectant son rythme d’apprentissage. En effet, il y a plus qu’un océan qui nous sépare.

Notre qualité de vie est intimement liée à la qualité de notre système éducatif

Une révolution s’impose en éducation, dont le premier chantier devra s’attaquer à l’évaluation outrancière qui sévit dans nos écoles. Le bulletin chiffré génère une anxiété antinomique au plaisir d’apprendre. Or, l’idée qu’un élève épanoui qui se développe à son rythme acquiert plus aisément les savoirs fondamentaux n’a rien d’une utopie de pédagogue illuminé. En effet, le bien-être de l’enfant et du personnel passe par une remise complète du modèle actuel. Si l’école a grandement besoin d’amour sur le plan physique, le personnel qui y travaille en a tout autant besoin, à en croire une statistique récente selon laquelle près de 30 % des enseignants abandonnent avant même d’avoir cinq années d’expérience. Tragédie personnelle et collective, il va sans dire.

Pourtant, nous savons qu’en donnant en héritage le goût d’apprendre à notre jeunesse, nous valoriserons cette noble profession, créant ainsi un cercle vertueux où le milieu enseignant évoluera dans un meilleur environnement pour transmettre sa passion, la connaissance.

C’est pourquoi le Québec doit s’offrir rapidement un sommet sur l’éducation pour mieux saisir les causes de l’état de santé inquiétant de notre réseau scolaire. Un Québec qui se mobilise pour devenir, à l’instar des pays scandinaves, un chef de file en matière d’éducation. Ces pays ont su mieux que quiconque prendre conscience que l’école est l’institution la plus efficace pour réduire les inégalités sociales et favoriser l’épanouissement des adultes de demain. Prioriser le développement des cerveaux, comme c’est le cas en Finlande, est inéluctable, et pour y arriver, l’enseignement doit se situer au sommet de la valorisation des professions dans une société de savoir. Et si l’école, qui cimente la cohésion sociale, devenait non pas un mais LE projet de société ? Est-ce trop ambitieux ?

Lisez le premier texte de la série : « Le bulletin chiffré, l’éléphant dans la… classe ! »

À lire demain : Et si l’école québécoise devenait un véritable milieu de vie ?

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