Fin décembre 2022, près de trois ans depuis le début de la pandémie, je suis de nouveau de garde à l’urgence avec la forte impression que nous avons déjà joué dans ce mauvais film. Le scénario se répète : entre tempête de neige et musique de Noël, l’urgence déborde de personnes qui n’ont nulle part d’autre où aller.

Les infections respiratoires – avec en tête la COVID-19 (SRAS-CoV-2) et l’influenza – font rage parmi les plus vulnérables. En cette veille de Nouvel An, elles côtoient la détresse d’un homme ayant fait une tentative de suicide, car il ne peut plus payer ses factures, d’une personne âgée aînée en perte d’autonomie abandonnée par des soins à domicile déficients, d’une femme migrante ayant survécu à la traversée des Amériques pour faire face aux dettes imposées par notre système de santé prétendument universel, et d’un homme en situation d’itinérance qu’on doit retourner au froid de la rue faute de place dans les refuges.

Des hôpitaux engorgés et un personnel à bout

En relisant mes « leçons de pandémie1 » des deux dernières années2, c’est avec tristesse et désarroi que je constate que si peu a changé. Le système de santé est toujours en carence chronique de personnel – encore plus qu’il y a deux ans. La première ligne peine encore à combler les besoins de la population. Le modèle hospitalocentriste, axé sur des traitements techniques plutôt que sur la prévention en amont, règne toujours. Les listes d’attente continuent de s’allonger et les ruptures de services en soins préhospitaliers font qu’en 2022, un bébé atikamekw peut mourir d’une simple méningite3.

Il y a aussi des éléments nouveaux. On ne rapporte plus le nombre de morts de la COVID-19 aux nouvelles – pourtant le plus élevé en 2022 comparé aux années précédentes.

Malgré la crise économique qui affecte les plus marginalisés, il n’y a plus de PCU, de sursis de loyers ou d’hôtels pour héberger les personnes sans logement. On a troqué les éloges envers les infirmières contre une stratégie d’attrition, loin d’endiguer les problèmes de TSO, d’agences privées, et des conditions de travail insoutenables. On semble avoir oublié les « anges gardiens » dont beaucoup ont payé à fort prix les conséquences de la pandémie – souvenons-nous de Marcelin François4 – au profit d’un discours sur les « immigrants économiques francophones » aux relents déshumanisants et xénophobes.

Inertie de Québec

Alors que le système de santé a dépassé le point de rupture, à en croire nos dirigeants, il n’y aurait même plus de pandémie. Après l’inertie et les discours contradictoires qui auront servi à miner la confiance de la population envers la santé publique, le gouvernement du Québec a choisi la politique du déni. Après tout, s’il n’y a plus de pandémie, il n’y a aucune urgence à améliorer la ventilation dans les écoles, les milieux de vie et de travail. Il n’y a pas non plus d’impératif à renforcer les infrastructures de soins, à accélérer l’embauche et la rétention de personnel soignant et à mettre en place des mesures de protection en santé publique.

Dans ce scénario imaginaire, on peut se contenter de demi-mesures relevant de la pensée magique – une poignée de cliniques d’infirmières praticiennes spécialisées (IPS) permettraient de désengorger les urgences – ou de réformes allant à l’encontre des principes d’accessibilité et d’équité en santé.

En effet, le plan de refonte du système de santé du ministre Christian Dubé relègue les CLSC au statut de relique et veut augmenter la part du secteur privé – ou plus spécifiquement de l’usage des fonds publics pour financer des soins privatisés, et ce, malgré les risques d’une telle approche5.

Cette approche rappelle le « protocole de surcapacité » récemment mis en place dans les hôpitaux, qui déplace les patients de l’urgence vers l’étage, où les ratios de personnel sont tout aussi précaires. Le recours au secteur privé comme « solution » suit une logique similaire de chaises musicales, déplaçant en l’occurrence le personnel du secteur public… vers le privé. Un vrai tour de magie.

Je repense à mes patients entassés sur des civières à l’urgence. Au-delà des soins que je leur prodigue aujourd’hui, ce qui leur permettrait de regagner la santé n’a pourtant rien d’un tour de magie : payer son épicerie et son loyer pour un logement décent, avoir accès à du soutien médical et social gratuit adéquat quel que soit son statut d’immigration, sa région de résidence ou son revenu, vivre et travailler dans des conditions dignes et sécuritaires. À l’aube de crises économique, sociale et climatique, ces mesures, pourtant évidentes pour agir sur les déterminants sociaux de la santé, nécessitent bien plus qu’un simpliste « bouclier anti-inflation », mais plutôt des politiques publiques ancrées dans une vision d’équité et de justice sociale. Si certains semblent vouloir oublier la pandémie, rappelons-nous sa plus précieuse leçon : la solidarité.

1. Lisez le texte « COVID-19 : leçons de pandémie, un an plus tard » 2. Lisez le texte « Les leçons de la pandémie » 3. Consultez l’article de Radio-Canada « Le manque d’ambulances à Manawan dénoncé par les Atikamekw depuis longtemps » 4. Lisez la chronique d’Yves Boisvert « Il s’appelait Marcelin François » 5. Consultez le rapport de l’IRIS sur le bilan des groupes de médecine familiale Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion