Je suis docteure en psychologie clinique, une promotrice des questions de réparations psychologiques. Je développe une étude de cohorte à l’École de médecine de l’Université de Miami, pour investiguer les effets sanitaires à long terme de la crise sociopolitique en Haïti (The Haitian Well-Being Study)1. Je suis également experte dans l’étude du trauma intergénérationnel et de leur prise en charge. Je reçois continuellement des demandes de la part des collègues cherchant désespérément de l’assistance psychologique gratuite pour soutenir des réfugiés haïtiens de tous âges face au stress du processus migratoire, de la précarité économique, de l’isolement social, de l’acculturation, et de la racialisation aux États-Unis, au Canada et même en France.

Je n’ai jamais expérimenté, senti et observé autant de douleur, d’effroi, de désespoir et d’impuissance face au développement de la situation en Haïti. J’ai vécu la majeure partie de ma vie à Port-au-Prince. Je n’ai que de lointains souvenirs d’instabilité politique émaillant ma prime enfance. En revanche, mes souvenirs sont plus vivaces s’agissant de mon expérience du séisme du 12 janvier 2010 à Thomassin. Alors que j’étais encore dans la période du post-partum, j’ai survécu avec mon bébé, dans ma garde-robe, au pire désastre naturel de l’histoire d’Haïti, dont le lourd bilan s’élève à plus de 300 000 morts et des milliers d’amputés.

Des gens de mon entourage ont perdu des mères, des enfants, des sœurs et frères, ou des époux. Cependant, la solidarité légendaire haïtienne et l’espoir de pouvoir reconstruire une nouvelle Haïti étaient palpables !

À l’occasion, j’ai intégré le premier Centre de psychotrauma de Port-au-Prince. Je n’avais qu’un rêve : aider puis partir poursuivre des études doctorales en France et revenir au pays pour faire avancer la recherche sur les conséquences et la prise en charge psychologique des survivants du séisme et d’autres évènements marquants !

Treize ans plus tard, farin la pa vin nan menm sak. En 2010, Haïti était classée 93e sur 163 pays dans les classements de la paix au niveau mondial. En 2022, elle perd 22 places et se retrouve en 115e position. Alors qu’en janvier 2023, Haïti fête ses 219 ans d’indépendance et commémore les âmes englouties par le sinistre de janvier 2010 : l’île traverse l’un des pires conflits sociopolitiques de son histoire, et des solutions novatrices sont nécessaires pour sauver la première République noire.

Consultez une carte du classement de la paix (en anglais)

Consolidation de la paix

Au dernier trimestre de 2021, conjointement avec un groupe d’universitaires, des soignants, dont moi-même, avons exprimé nos préoccupations aux leaders mondiaux de la santé. Parmi nos recommandations figuraient le lancement d’un mouvement haïtien de consolidation de la paix, culturellement sensible qui rassemble des scientifiques, des universitaires, des intellectuels des professionnels de tout bord, des dirigeants locaux, des défenseurs des droits de la personne, des militants politiques, des chefs religieux et un conseil des aînés haïtiens. Qu’entend-on par consolidation de la paix ?

Lisez le texte adressé aux leaders mondiaux de la santé (en anglais)

Une définition acceptée de la consolidation de la paix la conçoit comme « un processus qui facilite l’instauration d’une paix durable, et tente de prévenir la résurgence de la violence en s’attaquant aux causes profondes et aux effets des conflits par la réconciliation, le renforcement des institutions et la transformation politique et économique ».

Si l’un des principaux objectifs de la consolidation de la paix est d’aider à réparer et à reconstruire des relations sociales fragmentées, les universitaires et les praticiens de la consolidation de la paix doivent s’être familiarisés avec les concepts de base des études sur les traumatismes et vice-versa.

Dans les suites du génocide contre les Tutsis en 1990, la société rwandaise a fait le choix d’articuler les démarches de guérison du traumatisme du génocide avec la promotion d’une culture de la paix.

Lisez une étude sur la résilience au Rwanda (en anglais) Lisez un article sur l’éducation de la paix au Rwanda (en anglais)

Plusieurs collègues haïtiens m’ont fait comprendre que la construction de consensus en Haïti est impossible. Ils évoquent les propositions de sortie de crise qui finissent par échouer. Faut-il pour autant perdre espoir et baisser les bras ? Absolument pas !

Les guerres entre tribus rivales ont fait partie de l’existence humaine depuis des temps immémoriaux. Avec chaque génération, de nouvelles armes ont été développées et les armées sont devenues plus efficaces pour tuer ou neutraliser l’autre camp. Autrefois, la guerre était le seul moyen pour les pays de s’enrichir, en capturant l’or et les trésors d’un rival. Cela n’est plus nécessaire aujourd’hui, car la science et l’ingénierie fournissent les moyens de vivre ensemble paisiblement. S’agissant du cas d’Haïti, c’est précisément ce rôle que la science haïtienne, particulièrement la psychologie haïtienne devrait jouer dans le cadre d’un mouvement de consolidation de la paix. La psychologie à travers son corpus de connaissances théoriques et pratiques, pouvant aider à expliquer les racines et modifier des comportements violents, s’avère un outil incontournable dans tout processus de consolidation de la paix à travers le monde.

Lisez une étude sur la psychologie de la paix (en anglais)

À juste titre, du 12 au 14 janvier, la ville historique du Cap Haïtien accueillera le premier sommet de Psychologie de la paix organisé par l’Association haïtienne de psychologie et Rebati Santé Mentale, sous le thème « Construire une paix durable en Haïti : le rôle de la psychologie dans l’action ! »

1. Lisez un texte au sujet de la Haitian Well-Being Study (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion