Le multilatéralisme est menacé, écrivent plusieurs experts. Le mal a commencé sous Donald Trump, grand pourfendeur des organisations internationales, et se poursuit avec l’incapacité de la communauté internationale à stopper l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Pour ces spécialistes, tous les mécanismes de concertation internationaux sont grippés et n’arrivent plus à remplir leur mandat. Le fractionnement du monde et la vive compétition entre les grandes puissances ajoutent au dérèglement et fragilisent un ordre international fondé sur des règles et la concertation.

Je ne suis pas aussi pessimiste. Pour paraphraser l’écrivain américain Mark Twain, l’annonce de la mort du multilatéralisme m’apparaît tout à fait prématurée.

Le multilatéralisme est devenu une réalité quotidienne il y a plus de 150 ans lorsque les États ont décidé de coopérer et de créer des organisations afin d’orchestrer leurs interactions. Il s’est toujours renouvelé au fil des crises et des évolutions politiques. Chaque fois, le multilatéralisme a retrouvé un nouveau dynamisme.

Cette année, la conférence de Montréal sur la biodiversité (COP15), le travail journalier du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) et la dernière réunion du G20 illustrent bien la vigueur du multilatéralisme au moment même où les tensions internationales laissent croire à son effritement.

La COP15 semblait mal engagée avant même de commencer. Un accord paraissait improbable tant les intérêts des uns et des autres divergeaient. En particulier, il y avait un fossé entre le Nord et le Sud sur le financement des programmes de protection de la biodiversité. Puis, avec le déménagement de la conférence de la Chine à Montréal, les observateurs s’attendaient à une atmosphère de travail difficile entre Pékin et Ottawa compte tenu des mauvaises relations entre les deux pays.

Les prophètes de malheur ont eu tort. La présidence chinoise a fait preuve d’une grande ouverture d’esprit en conciliant les points de vue divergents et a réussi à faire adopter par les 195 pays présents un accord ambitieux visant à mettre un terme au déclin de la biodiversité d’ici 2030.

La Chine et le Canada, ce dernier représenté par le ministre de l’Environnement Steven Guilbeault, ont travaillé main dans la main au point où un délégué chinois a vivement remercié le ministre canadien. M. Guilbeault a souligné comment son homologue chinois et lui ont utilisé leurs contacts pour en arriver à la conclusion de l’accord.

Cette conférence a permis à la communauté internationale de retrouver son unité malgré les divisions observées après l’agression russe contre l’Ukraine. À l’ONU, en effet, les membres de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité n’ont pas été unanimes à condamner l’intervention de Moscou et d’aucuns craignaient une paralysie de ces organes importants du multilatéralisme sur d’autres dossiers. Il n’en fut rien.

Il y a quelques jours, le Conseil a adopté une résolution condamnant la junte militaire en Birmanie et réclamant la libération des prisonniers politiques, dont la présidente renversée Aung San Suu Kyi. La Chine et la Russie ont refusé de venir au secours de leurs alliés birmans et se sont abstenues, une première.

Sur d’autres fronts, la coopération entre les 15 membres du Conseil a été exemplaire. Les mandats des opérations de paix ont été renouvelés, et une résolution imposant un régime de sanctions sur Haïti, notamment un gel ciblé des avoirs, une interdiction de voyager et un embargo sur les armes, a été adoptée à l’unanimité.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, António Guterres, de passage à Montréal pour la COP15, en décembre dernier

Pour sa part, le chef de l’ONU, António Guterres, a montré qu’il pouvait être à la fois « secrétaire » et « général » en pilotant avec subtilité et fermeté des négociations entre l’Ukraine, la Russie et la Turquie, permettant le rétablissement des exportations de céréales des ports ukrainiens vers le reste du monde.

Enfin, le fait que le sommet du G20 se soit tenu comme prévu en Indonésie et ait donné lieu à un consensus sur plusieurs questions internationales est à mettre au crédit des efforts diplomatiques de nombreux pays et révèle une résilience inattendue de la part de ce forum hétérogène de dialogue et de concertation.

Le multilatéralisme, dont les fondations actuelles ont été établies au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, est toutefois attaqué par ceux pour qui l’unilatéralisme est préférable et par ceux désireux d’en changer certaines règles. Il est donc évident qu’il doit s’adapter, afin de tenir compte des nouvelles configurations géopolitiques mondiales, et des aspirations des puissances émergentes et des blocs régionaux.

Néanmoins, quelles que soient ses formes et ses évolutions futures, le multilatéralisme est au cœur de notre vie internationale, car il repose sur un socle solide de traités et d’organisations dont l’utilité se révèle chaque jour. Pour ainsi dire, il nous habite, car nous pensons toujours en ses termes.

Les périodes où il décline nous inquiètent, mais un ressort profond nous porte constamment à y recourir et à le remettre en selle tant les questions sont devenues mondiales et nécessitent des réponses communes.

* Jocelyn Coulon publiera en février Ma France. Portraits et autres considérations (Éditions La Presse).

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