La nature a beau être aimée de tous, il sera difficile de trouver tout l’argent nécessaire pour stopper, puis renverser sa perte de biodiversité, ai-je constaté en allant fouiner à la COP15. Un beau défi pour la finance durable.

L’expression « 30 x 30 » qui a retenu l’attention fait allusion aux 30 % de la terre et aux 30 % de l’eau qui doivent être protégés d’ici 2030. Mais elle désigne aussi les 30 milliards de dollars américains* d’aide annuelle aux pays en développement promise à partir de 2030.

Ce deuxième 30 x 30 est un compromis. Les pays riches étaient réticents, eux qui n’arrivent pas à livrer les 100 milliards par an promis au Sud pour lutter contre le réchauffement climatique. Pour sa part, le Canada a annoncé une contribution de 1,5 milliard de dollars canadiens, sans engagement de récurrence.

L’accord de Kunming-Montréal sur la biodiversité vise à mobiliser au moins 200 milliards pour le Sud, toutes sources confondues, nationales, internationales, publiques et privées.

Cet effort ne comblerait qu’en partie les investissements requis au Nord et au Sud, estimés à 700 milliards par année. L’accord prévoit que les 500 milliards manquants viendront des 1800 milliards en subventions à l’agriculture, néfastes pour la biodiversité, qu’il faudra réformer. Le calcul est simple, mais la manœuvre est extrêmement risquée pour tout gouvernement.

La finance découvre la biodiversité

J’ai l’espoir que la finance durable fournira une grande part des capitaux, confortée par le leadership politique de l’accord, maintenant qu’elle comprend mieux que le réchauffement climatique et la préservation de la biodiversité constituent une seule et même lutte, qu’un même dollar peut servir les deux causes.

Jugez-en par exemple à cette pousse verte qu’est la proposition de la banque britannique NatWest de monter pour le Brésil un financement obligataire de 10 milliards, dont le taux d’intérêt serait fonction de l’atteinte de l’objectif du président Lula : stopper d’ici 2030 la déforestation en Amazonie, vérifiée par satellite.

Pour la première fois à une COP sur la biodiversité, on a consacré une journée à la finance, qui a réuni 400 participants. Cent cinquante institutions aux actifs de 24 000 milliards y ont dévoilé un plan d’action pour aligner les flux financiers avec la vision, les buts et les cibles de l’accord⁠1.

La responsabilité des entreprises

Un moment marquant fut le discours d’Emmanuel Faber⁠2, le moine-soldat de la finance durable, ancien patron de la multinationale française Danone, aujourd’hui président de l’International Sustainability Standard Board (ISSB).

Faber ne demande pas aux patrons de sauver la planète, « mais de sauver leur entreprise, car elle dépend entièrement de la nature. Les changements climatiques vont redéfinir les avantages concurrentiels pour toutes les entreprises, tous les investisseurs, tous les pays ! ».

Selon lui, « la valeur créée par une entreprise est inextricablement liée aux parties prenantes avec qui elle travaille et qu’elle sert, à la société dans laquelle elle opère et aux ressources naturelles dont elle dépend ».

La durabilité est la capacité d’une entreprise à maintenir et à développer au fil du temps ses relations, à gérer ses dépendances et ses impacts dans tout son écosystème d’affaires, toute sa chaîne de valeur.

Emmanuel Faber, président de l’International Sustainability Standard Board (ISSB)

Elle permet à une entreprise de conserver son accès aux ressources humaines, naturelles et financières dont elle a besoin pour atteindre ses objectifs ; des ressources qu’elle doit « préserver, développer et régénérer », si elle veut ultimement procurer une valeur à ses investisseurs.

Ces paroles ne sont pas qu’un discours de circonstance, mais le fondement philosophique de l’ISSB, qui sera incorporé à son projet de norme générale no 1. Cette définition de la durabilité guidera les entreprises, qui ne pourront plus se contenter d’indicateurs ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) fragmentés, habilement choisis pour bien paraître.

La norme no 2 sur le climat sera élargie à la biodiversité et à la transition juste pour le capital humain, a annoncé Faber, qui vient d’ailleurs de s’adjoindre comme conseiller spécial Geordie Hungerford, chef de la direction du Conseil de gestion financière des Premières Nations.

L’ensemble des normes de l’ISSB mettront de l’ordre dans les informations que devront divulguer les entreprises, afin d’éclairer les décisions des investisseurs et des prêteurs.

Cette COP marque un progrès important avec l’engagement de la finance durable en faveur de la biodiversité. Sur le plan politique, saluons la collaboration des ministres chinois et canadien de l’Environnement, Huang Runqiu et Steven Guilbeault, pour forger l’accord de Kunming-Montréal. Les vives tensions entre les deux pays n’ont pas disparu, mais il sera important de préserver cet espace de coopération pour la planète.

* Les sommes sont en dollars américains, à moins d’indication contraire.

Lisez le plan d’action pour aligner les flux financiers avec l’accord (en anglais) Écoutez le discours d’Emmanuel Faber à la COP15 (en anglais)