On a appris récemment dans les médias que le gouvernement canadien pourrait considérer l’option d’attribuer un contrat de gré à gré à la société Boeing pour l'acquisition de 8 à 12 avions de patrouille et de surveillance P-8 Poseidon, une plateforme qui est basée sur le Boeing 737. Cet achat, dont le coût est estimé à plus de 5 milliards de dollars, viserait à remplacer les avions CP-140 Aurora de l’Aviation royale canadienne.

Or, selon les documents publics du gouvernement canadien, il ne serait pas nécessaire de remplacer la flotte actuelle d’avions CP-140 avant 2032-2033. De plus, le calendrier gouvernemental pour ce projet appelé « Aéronef multimissions canadien » ne prévoit pas le début de la mise en œuvre du projet avant 2027-2028. En négociant un contrat de gré à gré avec Boeing, le gouvernement canadien devancerait considérablement l’échéancier qu’il a lui-même communiqué publiquement.

Quelle est donc l’urgence d’agir aussi rapidement ? Toujours selon les médias, Boeing aurait « averti » le gouvernement canadien qu’il cesserait la production de son avion P-8 Poseidon dans ses installations situées aux États-Unis s’il ne recevait pas de commandes additionnelles. Autrement dit, l’avion de Boeing est vraisemblablement en fin de vie et on espère la prolonger quelque peu en décrochant un contrat avec le gouvernement canadien.

Il serait plutôt invraisemblable qu’un gouvernement chambarde ses propres plans et redéfinisse ses propres besoins en fonction des intérêts et de l’échéancier d’un seul fournisseur. D’autant plus que d’autres fournisseurs ont exprimé leur désir de soumissionner pour ce projet, dont au moins une entreprise canadienne, Bombardier.

En effet, Bombardier a déclaré qu’elle serait tout à fait disposée à offrir une solution tournée vers l’avenir basée sur son avion Global, un appareil construit au Canada. Des avions de Bombardier ont d’ailleurs été choisis pour effectuer de la surveillance aérienne et des missions spécialisées par des intégrateurs de systèmes étrangers de défense et des forces armées de différents pays, dont les États-Unis, l’Allemagne et la Suède. Le Global 6500 de Bombardier possède des avantages significatifs par rapport à d’éventuels concurrents, comme le P8-A de Boeing, en termes de vitesse et surtout d’autonomie, ce qui est primordial pour un avion appelé à surveiller un espace aussi vaste que le Canada1.

On sait que l’industrie aérospatiale est un secteur stratégique et névralgique pour l’économie canadienne, ne serait-ce qu’en vertu de ses retombées économiques et de ses avancées en recherche et développement. Serait-il logique que le Canada se prive des compétences de son secteur aéronautique en accordant prématurément un contrat de gré à gré à une entreprise étrangère ? Peu de pays peuvent se vanter de posséder l’ensemble des compétences requises pour développer et construire un avion de A à Z. Le Canada possède cette expertise qui fait l’envie de plusieurs nations. C’est un atout que l’on doit continuer de renforcer et de développer en partenariat avec les intervenants clés de l’industrie, les instances gouvernementales et la Défense nationale.

Les quelques pays qui ont la chance d’avoir un secteur aérospatial performant ont tendance à privilégier leur industrie locale quand vient le temps d’accorder de lucratifs contrats militaires. On n’en demande pas tant !

On souhaite simplement et ardemment que le gouvernement canadien offre l’occasion à son secteur aéronautique de proposer une solution novatrice pour répondre aux besoins de sécurité et de défense nationale du pays, notamment en ce qui concerne la surveillance dans le Nord canadien et l’Arctique.

Sans privilégier indûment un constructeur canadien au détriment de la concurrence étrangère, il faut saisir l’occasion d’un approvisionnement public pour promouvoir l’innovation locale, maximiser les retombées économiques au pays, développer des capacités souveraines, et accroître les opportunités d’exportation. À tout le moins, il ne faudrait pas écarter de la course un constructeur canadien pour prolonger de quelques mois l’existence d’un produit étranger.

Il est inquiétant qu’un contrat de gré à gré avec un fournisseur étranger soit même considéré comme une option à ce moment-ci. Cela va à contre-courant de ce que font les autres nations. Bref, un appel d’offres en bonne et due forme devrait être lancé, comme prévu, permettant aux firmes canadiennes, tout comme aux firmes étrangères, de soumissionner.

1. Lisez « Un contrat de plusieurs milliards intéresse Bombardier et Boeing »

* L’auteur était l’un des trois membres du conseil consultatif ayant reçu le mandat du gouvernement canadien de conseiller le Chef de l’examen des programmes et des politiques de l’aérospatiale et de l’espace en 2012.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion