Un contrat multimilliardaire d’avions de surveillance pour les Forces armées canadiennes se profile et intéresse deux rivaux qui se connaissent bien : Bombardier et Boeing. Le premier tente d’accroître son exposition au secteur militaire et l’autre aimerait revenir dans les bonnes grâces d’Ottawa.

Le géant américain Boeing a déjà affiché ses couleurs en proposant le P-8A Poseidon et en s’alliant à des entreprises comme CAE, GE Aviation Canada ainsi que le conglomérat propriétaire de Pratt & Whitney Canada. Plus discret, l’avionneur québécois espère avoir l’occasion de promouvoir ses jets privés Global, qui peuvent être convertis.

« Si on parle d’un avion de surveillance, les Global [de Bombardier] peuvent parfaitement faire l’affaire, affirme Richard Aboulafia, directeur général de la firme AeroDynamics. Si le Canada veut un avion de combat maritime […], on parle probablement du P-8A [de Boeing]. »

À compter de 2030, la Défense nationale retirera progressivement sa flotte d’Aurora CP-140, aéronef de patrouille à long rayon d’action propulsé par quatre moteurs à hélices. Sa mise en service a débuté en 1980. L’appareil peut transporter huit torpilles anti-sous-marines.

Assemblé aux États-Unis, l’appareil proposé par Boeing – qui s’apparente à la famille d’avions 737 – peut aussi larguer des torpilles. Ce n’est pas le cas des appareils convertis par l’avionneur québécois, mais cela pourrait changer.

PHOTO DARREN KOCH, TIRÉE DE WIKIPEDIA

Appareil P-8A Poseidon de Boeing utilisé par l’armée américaine

« Bombardier travaillera avec des partenaires externes pour intégrer l’équipement selon les demandes éventuelles du Canada », a affirmé le porte-parole de Bombardier, Mark Masluch, sans entrer dans les détails.

L’assemblage de la famille Global s’effectue dans la région de Toronto. Le changement de vocation d’un avion s’effectue à Wichita, au Kansas, qui était autrefois responsable de la construction des Learjet.

Il n’a pas été possible, mardi, de savoir ce qui était demandé par la Défense nationale. Pour l’instant, « toutes les options » sont étudiées, a-t-on expliqué dans un courriel.

Des milliards en jeu

Évalué à plus de 5 milliards, le programme « Aéronef multimissions canadien » devrait commencer à prendre forme en 2023. On devrait alors avoir une meilleure idée de ce qui est recherché par Ottawa. Les premières livraisons sont prévues au début de la prochaine décennie.

Pour la multinationale québécoise Bombardier, le défi consistera à convaincre les autorités canadiennes qu’un appareil de plus petite taille peut accomplir le même travail que le modèle de son rival, déjà utilisé par l’armée américaine, au Royaume-Uni, en Norvège ainsi qu’en Australie, notamment. Dans ce contexte, le P-8A offre une « interopérabilité [avec les alliés] inégalée pour le Canada », estime une porte-parole de Boeing, Maria Costley, qui ajoute que 155 appareils sont actuellement en service.

Même si la demande de renseignements diffusée en février dernier par Ottawa comporte une section concernant la lutte anti-sous-marine, le document ratisse très large. L’achat « d’aéronefs civils » transformés « en une plateforme militaire » est évoqué.

« À mon avis, cela signifie que le gouvernement étudie plusieurs options et qu’un choix définitif n’a pas encore été fait, estime Thomas Hughes, chercheur postdoctorant au Centre for International Policy de l’Université Queen’s, à Kingston. Est-ce qu’on remplacera l’Aurora par un seul avion ou plusieurs plateformes ? C’est une option. »

Une présence à accroître

Le Global de Bombardier a déjà été retenu par Saab dans le cadre du programme GlobalEye, système aéroporté de surveillance à distance.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE BOMBARDIER

Appareil Global de Bombardier en Suède

Des avions de la même famille ont déjà été livrés à l’armée de l’air américaine. Avec les équipements de télécommunications qui rapetissent à vue d’œil, l’avionneur québécois fait le pari que ses jets d’affaires convertis peuvent faire le même boulot que les gros porteurs en matière de mission de surveillance.

Bombardier est bien moins présente que Boeing, Airbus et Embraer dans le secteur militaire, mais elle aimerait que cela change. L’entreprise aimerait générer environ 10 % – soit environ 1 milliard US – de son chiffre d’affaires annuel.

Lisez l’article « Bombardier à la chasse aux contrats militaires »

L’étoile de Boeing a considérablement pâli au Canada après le dépôt de sa plainte, en 2017, contre l’avion qui était alors appelé C Series, en alléguant un préjudice à cause des subventions indues accordées à Bombardier. Le géant américain avait été débouté par les tribunaux commerciaux américains, mais la C Series avait temporairement fait l’objet de droits compensateurs et antidumping de 292 %.

En mars dernier, le gouvernement Trudeau avait discrètement écarté le Super Hornet de Boeing dans le cadre du processus pour remplacer ses vieux CF-18. La décision avait été interprétée par certains comme des représailles à cause de la plainte déposée à l’époque contre la C Series.

En savoir plus
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    Nombre d’appareils construits par Bombardier appartenant au gouvernement canadien. Il s’agit de Challenger 650 et de Challenger 604.
    source : bombardier