Il y a 20 ans jour pour jour, le Québec est devenu le premier État en Amérique du Nord à régir le harcèlement psychologique en milieu de travail.

Depuis, tous les salariés sont en droit de travailler dans un environnement exempt de harcèlement psychologique, c’est-à-dire à l’abri de paroles, gestes ou comportements répétés et non désirés qui portent atteinte à la dignité et à l’intégrité de la personne. Les employeurs ont l’obligation de prendre les moyens raisonnables pour assurer un milieu de travail sain. Une victime estimant subir du harcèlement peut signaler la situation à son employeur ou à son syndicat. Elle peut aussi déposer une plainte à la Commission des normes, de l’équité salariale, de la santé et la sécurité du travail (CNESST).

En 2018, le législateur a par ailleurs adopté de nouvelles dispositions qui sont venues ajouter au texte de loi des éléments que, somme toute, la jurisprudence prévoyait déjà, à savoir l’obligation pour toutes les organisations d’implanter une politique de prévention et de traitement des plaintes de harcèlement. On a aussi précisé qu’une conduite vexatoire à caractère sexuel pouvait constituer une forme de harcèlement psychologique. Enfin, la loi exige que tous les sept ans, le ministre du Travail fasse rapport sur l’application de ces changements.

Un cadre légal suffisant ?

Sans présumer des conclusions d’un rapport qui devrait être déposé vers 2025, et en l’absence d’un redressement majeur d’ici là, il faut malheureusement s’attendre à un bilan plutôt désolant. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Au cours des cinq dernières années, la CNESST a traité en moyenne 3744 demandes de recours pour harcèlement en vertu de la Loi sur les normes du travail.

Quant aux lésions professionnelles attribuables au harcèlement, elles sont passées de 57 en 2017 à 277 en 2021, une augmentation de près de 400 %. Cette évolution n’a rien de réjouissant.

Et ce n’est là qu’un portrait bien incomplet de l’ampleur du phénomène puisque ces données n’incluent pas les plaintes reçues directement par les employeurs et les syndicats.

De toute évidence, le cadre actuel ne permet pas de régler ni même d’atténuer l’enjeu. Est-ce que toutes les organisations ont implanté une politique ? La réponse est non. Quand il y en a une, est-elle connue, discutée et maintenue à jour ? Pas toujours. Est-ce que les victimes ont confiance dans les processus mis en place ? Pas assez. Est-ce qu’encore trop de gens subissant de la détresse psychologique en raison de harcèlement partent en congé de maladie ou sont forcés de changer d’emploi pour préserver leur santé et leur estime de soi ? Absolument.

Les prochains jalons

Pour encourager les dénonciations et encadrer la prise en charge des plaintes par les organisations, une enquête menée par une personne compétente – avec la possibilité de médiation en tout temps – devrait être rendue obligatoire pour les employeurs. Tant qu’une telle obligation n’existera pas, les victimes continueront de se taire par crainte de représailles ou devront se tourner soit vers des recours qui antagonisent les parties plutôt que de chercher une solution, soit vers le tribunal de l’opinion publique. Nos voisins ontariens et le gouvernement fédéral ont quant à eux intégré cette obligation dans leur législation ; le Québec n’est désormais plus à l’avant-garde de la lutte contre le harcèlement psychologique.

Nous nous mettons la tête dans le sable si nous croyons que le harcèlement n’arrive que chez les autres, qu’il est moins fréquent en raison du télétravail ou qu’il finit simplement par disparaître avec le temps. Aucun milieu de travail n’est à l’abri et les coûts humains et organisationnels sont significatifs. Ayons le courage de mettre en place des cadres solides et d’adopter des actions claires afin qu’en matière de harcèlement, ce soit tolérance zéro.

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