Chassés de la Floride par l’ouragan Nicole, nous avions trouvé refuge au centre de la Géorgie. À côté de notre hôtel, un restaurant japonais offrait des repas cuits devant les convives assis autour de la plaque chauffante. Des convives, il y en avait à notre table : une famille de 10, des grands-parents aux petits-enfants. Ils fêtaient un des fils, un beau jeune homme, souriant et sûr de lui.

Avant le repas, le grand-père a demandé le silence et dit le bénédicité. Puis, le fêté m’a expliqué qu’il travaillait pour les forces aériennes, dans un établissement où on produit les bombes qui seraient larguées en Irak. Il en était fier. Pas question de montrer mon malaise, évidemment.

Au Québec, nous avons retrouvé une certaine sympathie pour l’armée. Ces soldats qui apparaissent lors d’épidémies ou d’inondations, sans se plaindre de leur sort, font notre affaire. Pour le reste, ils se retirent à Val-Cartier ou à Bagotville, loin des centres urbains.

Les guerres, on les tient loin de nous. Les bombes en Irak et en Syrie, les obus en Afghanistan, les mêmes que nous exportons maintenant en Ukraine, nous ne les entendons pas. Pas leurs victimes non plus.

On passe sous le silence le fait que le Québec soit un grand producteur et exportateur de munitions, tout comme les contributions de notre industrie aérospatiale à l’armement.

Je suis enfant de la Seconde Guerre mondiale. Comme je suis né huit ans après sa fin, les conséquences, en matière de destruction, de coûts de la reconstruction, de santé des prisonniers revenus des camps, de culpabilité collective pour la déportation et l’Holocauste, ont toujours été présentes, de loin ou de proche, durant les premières décennies de ma vie.

À 24 ans, la fin des études devient le début d’autre chose. Ce qui m’attendait était la conscription pour les forces armées des Pays-Bas. C’était une perspective difficile à supporter. L’idée de devenir expert dans l’art de tuer des personnes inconnues, sur les ordres de politiciens dont le jugement ne m’inspirait pas confiance, ne me rendait pas enthousiaste. Dans le temps, la guerre du Viêtnam tirait à sa fin, sans qu’on comprenne vraiment pourquoi elle avait commencé.

Objecteur de conscience

J’ai toujours cru que le respect des règles et des demandes de mes supérieurs est une valeur importante. Mais dans l’armée, une organisation dont le mandat ultime est de tuer et où l’obéissance aveugle s’impose, ce respect prend une autre dimension.

J’étais probablement destiné à l’artillerie. Mes talents en mathématiques et en physique me qualifiaient sans doute pour les fonctions d’officier, mieux rémunérées, dans des quartiers plus confortables.

Donc, chargé de faire tuer des ennemis sans visage, derrière l’horizon, sur les ordres de supérieurs imposés et souvent lointains.

Nos ennemis à attaquer étaient les Allemands de l’Est ; l’OTAN avait décidé ainsi. Les Allemands de l’Ouest commençaient à être nos amis à 150 kilomètres d’Amsterdam.

Ceux de l’Est, les communistes derrière le rideau de fer, 200 kilomètres plus loin. J’avais déjà visité les deux pays et je ne saisissais pas la différence entre les populations. Mais j’ai pu observer les dégâts de la guerre : 30 ans après sa fin, certains quartiers de Leipzig, ville de Johann Sebastian Bach, étaient toujours en ruine.

Donc, j’ai demandé et obtenu le statut d’objecteur de conscience, à être enrôlé pendant plus de 18 mois : personne ne devrait penser que je me faufilais. Et à un salaire au niveau de l’assistance sociale : pas de promotion comme caporal ou officier pour un objecteur, même si mon emploi durant ce service de remplacement était celui d’un juriste !

Depuis 75 ans, les territoires européen et nord-américain ont été épargnés de la guerre, mis à part les conflits après la dissolution de la Yougoslavie. Maintenant, l’Hydre remonte sa tête immortelle : la guerre est de retour, pour une longue période, il me semble. On y envoie des armes, on reçoit des réfugiés, on invite le président pour un discours et on prie que ça se limite à ça.

Mais que ferons-nous quand, après la conquête de l’Ukraine, nos voisins du Nord débarqueront sur les plages du Nunavik, afin de voler notre or blanc ? Vous, que je soupçonne d’être isolationnistes, et moi, que vous pensez pacifiste ? Moi, je chargerai mon cerveau et j’aiguiserai ma plume ; puis je prendrai le maquis québécois, sur le Plateau Mont-Royal.

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