Lors d’une chronique intitulée « Le monde est pas bien », Patrick Lagacé⁠1 a souligné la dualité entre conscience environnementale et voyage, aggravant donc l’écoanxiété déjà galopante qui sévit sur près d’un Québécois sur deux.2 Or, bien qu’il me semble nécessaire de diminuer le romantisme que notre société attribue au voyage, je comprends le bien-fondé de ce désir.

Le voyage est un peu la quintessence de notre civilisation ; y mettre fin comme condition nécessaire à « être vert » peut avoir comme contre-effet de diminuer l’adhésion de la population à l’action climatique. Alors peut-être faudrait-il trouver une approche plus… pragmatique.

La bonne nouvelle est qu’il existe un mécanisme qui peut nous permettre de voyager durablement : l’hydrogène vert – dont le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonatan Julien, vient tout juste d’y déposer un plan, en plus d’être le projet phare – « ÉCO » – du PLQ.

Cela peut sembler être de la science-fiction, mais cette technologie est concrète et accessible.

À titre d’exemple, songeons au vol suborbital d’octobre 2021 effectué par Blue Origin – l’entreprise aérospatiale détenue par Jeff Bezos. En plus d’avoir mis en orbite la vedette de Star Trek, William Shatner, la fusée est propulsée à l’hydrogène vert et n’émet donc pas de gaz polluant, à l’instar du kérosène de SpaceX, ou plus généralement, celui utilisé dans nos avions.

Aux génies en herbe, n’ayez crainte, aucune loi de la thermodynamique ne fut transgressée. Un mélange de dioxygène (O2) et d’hydrogène (H2) est combiné. Il s’en traduit une réaction électrochimique qui libère de l’énergie – celle nécessaire pour soulever la fusée – et émet de la vapeur d’eau comme « déchet » (H2O).

Cette technologique pourrait aisément être appliquée sous peu, mais elle se frappe à deux murs. Le premier est financier – il doit y avoir un incitatif financier pour que les entreprises investissent afin d’obtenir ces modèles – ; le deuxième est politique – la gent politique est réticente à l’application de mesures écofiscales robustes, mais nécessaires. C’est dommage, elle donnerait pourtant tous les indicatifs nécessaires à l’industrie pour amoindrir son empreinte carbone.

Plus exactement, le mécanisme d’écofiscalité que nous devrions appliquer est la taxe carbone. Malheureusement, le Québec n’est pas régi à cet égard, et le fédéral omet les vols internationaux dans sa couverture de la taxe carbone…

Plusieurs croient que l’utilité de la taxe carbone réside dans sa capacité de dissuasion de consommer un bien. Or, ce n’est pas tout à fait exact. La taxe carbone vise à répondre à un besoin avec la technologie la plus efficace possible, sous contrainte de respecter les frontières planétaires vis-à-vis de la pollution.

Il est vrai que certains choisiront le train au lieu de l’avion, mais encore là, la taxe n’a pas dissuadé le voyage, elle a redirigé la consommation d’un service vers un autre similaire et bien moins polluant.

Toutefois, il n’y a pas de train qui relie Montréal et Paris. C’est ici que l’essence de la taxe carbone prend toute sa valeur.

En mettant un prix décent sur le carbone, nous offrons un incitatif financier aux compagnies d’aviation d’acquérir des avions « éco-responsables » ; les entreprises détenant des avions sobres en carbone auront des prix plus compétitifs que la concurrence et vendront donc plus de billets.

Notons que cette taxe serait fiscalement neutre, c’est-à-dire qu’un « revenu universel de base » serait financé via cette taxe et offert à tous les ménages canadiens, exactement comme la taxe carbone fédérale qui se voit être redistributive pour 80 % de ménages. ⁠3 Je le réitère : 80 % des Canadiens reçoivent plus de crédit carbone qu’ils n’en paient en taxe. ⁠4

En conclusion, bien qu’il serait bénéfique de diminuer la consommation inhérente au voyage, ce dernier restera dans nos vies pour les années à venir. Cela dit, la crise climatique ne s’amoindrira pas, pas plus que notre écoanxiété si l’on ne fait rien. Le meilleur moyen de voyager durablement est de mettre en place une taxe carbone robuste sur l’aviation. En fait, aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, la taxe carbone se voit être principalement au bénéfice des voyageurs en les émancipant – à moyen terme – de l’actuelle culpabilité ressentie, pourtant non nécessaire, ainsi que des plus démunis de la société – en leur offrant un crédit carbone des plus généreux.

1. Lisez « Le monde est pas bien » 2. Lisez « La fin du monde ? Non merci » 3. Lisez un article sur la taxe carbone (en anglais)

4. Rappelons que le Québec n’est pas régi par la taxe fédérale, nous avons une bourse du carbone, et les revenus de cette bourse servent à financer la transition énergétique.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion