Alors que, pour certains, il est trop tard pour éviter la catastrophe climatique, des scientifiques, militants écologistes et autres communicateurs continuent d’y croire. « OK doomer », répondent ces jeunes environnementalistes aux cyniques du climat. Pour eux, l’accent doit être mis sur les solutions.

Un rapport du GIEC qui soutient que nos émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites de moitié d’ici 2030 pour limiter la hausse de la température mondiale à 1,5 °C. Un projet d’exploitation pétrolière approuvé par Ottawa au large de Terre-Neuve. Le ministre de l’Environnement du Québec qui juge qu’il est « impossible » d’en faire plus.

Le mois d’avril a commencé de façon morose pour Léa Ilardo. Mais cette analyste politique à la Fondation David Suzuki, qui est aussi membre du conseil d’administration d’ENvironnement JEUnesse, refuse de céder à la panique. « Le Québec est aussi devenu le premier État à l’international à voter une loi pour interdire tout développement pétrolier et gazier sur son territoire », dit-elle en faisant référence à l’adoption du projet de loi 21, le 12 avril dernier. « Et on ne le célèbre pas du tout. On l’a très peu vu dans les médias, alors que c’est une annonce qui est historique ! »

Démontrer que c’est encore possible, c’est la mission qu’elle s’est donnée avec la série de billets qu’elle signe dans le 24 heures. « Le fameux “il est trop tard”, pour moi, il est très relatif. Il est trop tard pour quoi finalement ? », demande-t-elle.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

« À partir du moment où les gens baissent les bras et qu’ils se disent : “Mais à quoi bon ?”, on n’aura jamais d’acceptabilité sociale pour aller dans la bonne direction », croit Léa Ilardo, analyste politique à la Fondation David Suzuki.

Si le GIEC nous avait dit que la barrière du 1,5 °C était inatteignable, on aurait quelque chose sur lequel s’appuyer pour dire qu’il est trop tard pour se maintenir sous ce fameux seuil critique. Ce n’est pas ce que le GIEC nous a dit. Il nous a dit : il n’est pas trop tard, mais il faut vraiment se dépêcher.

Léa Ilardo, analyste politique à la Fondation David Suzuki

Sur les réseaux sociaux, particulièrement TikTok, ils sont de plus en plus nombreux à élever leur voix contre le catastrophisme climatique, lui aussi bien présent sur cette plateforme. Membres de la génération Z pour la plupart, ils font partie d’un mouvement baptisé « OK doomer » par des défenseurs du climat et par certains médias, un clin d’œil à l’expression « OK boomer » qui est notamment utilisée par les jeunes générations pour dénoncer l’indifférence de leurs aînés face au réchauffement climatique.

PHOTO FOURNIE PAR SABRINA PARE

Sur TikTok, Sabrina Pare documente son parcours vers l’adoption d’un mode de vie plus écoresponsable.

« Beaucoup de gens produisent des vidéos avec des titres effrayants et des images de catastrophes climatiques qui deviennent virales », déplore Sabrina Pare, une tiktokeuse de Detroit qui, dans ses vidéos, offre ses conseils pour adopter un mode de vie plus écoresponsable. Avec 16 autres environnementalistes présents sur TikTok, dont plusieurs sont des scientifiques, elle participe à Eco Tok, un collectif qui s’est donné pour mission de « donner des moyens d’action aux jeunes générations ». Et cela inclut la lutte contre la désinformation.

Consultez le compte TikTok de Sabrina Pare

« Le catastrophisme climatique insinue qu’il est soit trop tard pour s’attaquer aux changements climatiques, soit que des évènements apocalyptiques, tels qu’une pénurie de nourriture ou d’eau, se produiront dans les prochaines années. Bien que certains éléments de ce discours puissent être étayés par la science, le message général “il est trop tard” ou “cette situation apocalyptique va absolument se produire bientôt” ne l’est pas », affirme l’une des cofondatrices d’Eco Tok, Alaina Wood, une scientifique du Tennessee spécialisée en environnement qui compte plus de 300 000 abonnés sur TikTok.

Consultez le compte TikTok d’Alaina Wood

Si elle dénonce régulièrement ce type de publications sur son compte, c’est qu’elle estime qu’elles sont nuisibles.

Cela provoque des problèmes de santé mentale et amène les gens à abandonner le militantisme climatique […], car pourquoi se battre pour quelque chose s’il est trop tard ?

Alaina Wood, cofondatrice d’Eco Tok

Ce discours fataliste sert également aux grandes entreprises, selon Sabrina Pare : « L’industrie des combustibles fossiles veut probablement que nous tombions dans ce récit parce que, alors, nous ne continuerons pas à nous battre et à passer aux ressources renouvelables. »

Un aliment pour l’écoanxiété

C’est pourquoi, bien qu’elle ressente les effets des changements climatiques sur sa santé mentale, elle continue de cultiver l’espoir auprès de sa communauté. Car, inévitablement, le discours catastrophiste peut créer ou exacerber l’écoanxiété, et quand la peur s’installe, elle peut aussi paralyser. Selon une étude de l’Université de Sherbrooke menée en octobre dernier auprès de plus de 10 000 Québécois, 19 % des adultes se sentent souvent ou presque toujours inquiets à propos de l’avenir de l’humanité. Près de la moitié des 18-24 ans interrogés (49 %) ont exprimé avoir ressenti au moins une manifestation d’écoanxiété au cours des deux semaines précédant le sondage.

« S’ancrer dans des solutions, avoir cette impression claire et réaliste qu’il y a des choses qui peuvent être faites pour faciliter notre adaptation et protéger la planète et la santé des humains qui l’habitent, c’est important », remarque Karine St-Jean, psychologue et autrice du livre Apprivoiser l’écoanxiété.

Il ne faut pas tomber dans une perspective trop jovialiste, mais avoir accès à cette conviction de pouvoir agir, ça fait un gros contrepoids à l’écoanxiété.

Karine St-Jean, psychologue et autrice du livre Apprivoiser l’écoanxiété

« Ce sentiment de découragement ou d’angoisse est contrebalancé par le fait de se sentir dans l’action et du bon côté de l’histoire, note Léa Ilardo. C’est ce comportement-là que j’essaie d’encourager. »

C’est aussi la voie qu’a empruntée la Québécoise Christine Lan, elle aussi membre d’Eco Tok. L’actrice de Brossard (Sur-Vie, 30 vies), qui fabrique ses propres cosmétiques naturels, transmet sur TikTok des astuces pour un quotidien écoresponsable.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

« Je veux laisser ce monde beaucoup plus beau qu’il ne l’est maintenant, et j’espère ne pas laisser trop de choses derrière », dit Christine Lan, qui prône le changement « accessible » sur son compte TikTok.

Je veux montrer aux gens que c’est accessible, qu’il n’est pas nécessaire d’être riche pour pouvoir réduire ses déchets. C’est une réaction en chaîne. Une personne qui fait un changement en inspire une autre.

Christine Lan, membre d’Eco Tok

Consultez le compte TikTok de Christine Lan

PHOTO FOURNIE PAR ISAIAS HERNANDEZ

« Les solutions pour le climat ne sont pas seulement le fait de personnes au pouvoir, mais aussi de personnes comme moi, qui ressemblent à des citoyens ordinaires, et qui peuvent apporter une grande contribution », soutient Isaias Hernandez.

Lorsque les gens modifient leurs comportements, ils deviennent souvent plus critiques et exigeants avec les décideurs et les entreprises, croit Isaias Hernandez, lui aussi présent sur TikTok et Instagram et diplômé en sciences environnementales de l’Université de Berkeley, en Californie.

« Je ne crois pas que nous pouvons réaliser un changement systémique sans créer des chaînes individuelles et cela commence en examinant nos cœurs, et nos relations avec la Terre, la culture, les gens et les animaux, déclare celui qui s’intéresse notamment à la justice climatique. C’est là que ça commence. »

Consultez le compte TikTok d’Isaias Hernandez

Du journalisme de solution

Au Québec, le média numérique Unpointcinq, créé en 2017, est l’un des premiers à avoir misé sur la diffusion de solutions concrètes et inspirantes dans la lutte contre les changements climatiques. « Dès le départ, l’objectif du projet Unpointcinq était de montrer du vrai monde qui fait de vraies affaires pour aider le climat, explique son cofondateur, Philippe Poitras. Je trouvais que les médias ne montraient pas beaucoup de solutions à l’époque. […] Ils parlent des impacts du climat et de l’inaction, le fameux côté négatif qui fait vivre les médias depuis 150 ans. Alors on a voulu montrer ces visages humains qui sont dans l’action climatique, mais que personne ne couvre. » Ou plutôt ne couvrait, parce que, convient-il, les médias traditionnels s’intéressent aujourd’hui plus à eux.

Pour Unpointcinq, le but est de « rendre l’action climatique désirable et possible ». Une mission qui est d’ailleurs soutenue par un volet de recherche sur la communication, développé en partenariat avec l’Université Laval.

En dirigeant les projecteurs sur l’action positive plutôt que sur les conséquences de l’inaction, ne risque-t-on pas de minimiser le sentiment d’urgence ? « Pas dans un monde qui a besoin de solutions et qui a besoin de voir qu’elles existent », répond Philippe Poitras. Il croit néanmoins que l’impact de l’inaction doit continuer d’être couvert par les médias. Mais les solutions ne doivent pas être en reste.

Nous pouvons encore traiter de l’urgence sans autant de catastrophisme.

Sabrina Pare, membre d’Eco Tok

Et c’est un discours qui semble séduire. Depuis l’été dernier, Alaina Wood publie une fois par semaine, sur son compte TikTok, une vidéo rassemblant de bonnes nouvelles liées au climat. Depuis, son nombre d’abonnés a triplé. « Beaucoup en ont assez de n’entendre parler que des problèmes et veulent savoir comment ils peuvent aider. Ils aiment également avoir une pause de “doomscrolling” [tendance à faire défiler les mauvaises nouvelles sur son téléphone], surtout dans le chaos de la pandémie actuelle et des autres conflits mondiaux. »

« Ce n’est pas un optimisme déjanté ici, c’est simplement la voie des solutions, ajoute Philippe Poitras. Il y a un bon vieux dicton qui vient du baseball qui dit : “C’est jamais fini tant que c’est pas fini [citation de Yogi Berra]”. Chez Unpointcinq, c’est là qu’on est. » On n’est jamais à l’abri d’un coup de circuit.

Consultez le site Unpointcinq
En savoir plus
  • 17 % des Québécois croient qu’il est trop tard pour lutter contre les changements climatiques
    Sondage réalisé par la firme Léger du 27 septembre au 2 octobre 2021, Baromètre de l’action climatique 2021