Le temps est compté : le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) nous urge de mettre fin à notre dépendance aux énergies fossiles et de plafonner nos émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2025. Or, le gouvernement fédéral a ignoré ces recommandations. Deux jours après ce rapport, il a accepté Bay du Nord, un nouveau projet pétrolier en haute mer.

Aussi surprenant que cet anachronisme puisse paraître, il est davantage une résultante de notre régime politique qu’une erreur de parcours ; les politiciens sont incités à répondre aux besoins immédiats des électeurs et non à appliquer des politiques intergénérationnelles optimales. Par conséquent, même si nos gouvernements désiraient réellement s’attaquer à la crise climatique, il serait très difficile de le faire.

En effet, il est clair que leurs mains sont liées par cette vision à court terme imposée par un électorat pressé.

Ainsi, si rien n’est fait, les générations futures subiront les conséquences de cette injustice, et ce, sans même avoir eu leur mot à dire.

Effectivement, beaucoup n’ont pas le droit de vote ou ne sont même pas encore nés... Notre système politique rend inaudibles leurs voix.

Afin de répondre à cet enjeu, le politologue Giandomenico Majone a introduit les « institutions non majoritaires ». Ces dernières visent à contrer la tyrannie de la majorité afin d’améliorer le bien-être des minorités, telles la jeunesse et les générations futures.

Au vu de la crise climatique qui empire, ainsi que de la défaillance de notre régime démocratique à s’attaquer aux problèmes intergénérationnels, cet article propose la création d’une institution indépendante des cycles électoraux afin de régir l’action climatique.

L’institution proposée – la Banque du carbone – désire offrir une voix aux générations futures, actuellement ignorées.

L’origine de la Banque du Canada

Soyons clairs, la démocratie est désirable. Cela dit, nul n’oserait prétendre que le gouvernement est infaillible, ni que notre démocratie représente parfaitement la volonté populaire. C’est la raison pour laquelle nous avons dilué le pouvoir de la branche exécutive en créant certaines institutions indépendantes telles que la Banque du Canada pour s’attaquer à la myopie inhérente à notre système politique.

Effectivement, autrefois, le ministère des Finances possédait le pouvoir d’imprimer de la monnaie. Malheureusement, les politiciens ont abusé de ce pouvoir discrétionnaire pour des gains politiques. Ils étaient conscients de l’impact nocif que pouvait avoir l’inflation – tout comme nos politiciens sont conscients de l’impact de l’inaction face à la crise climatique –, mais ces derniers, visant leur réélection, en ont fait fi.

Afin d’éviter que les générations futures paient pour des gains politiques antérieurs, la branche exécutive du gouvernement canadien s’est départie de sa mainmise sur la politique monétaire et a confié ces pouvoirs à une institution indépendante : la Banque du Canada. Le premier ministre du Canada peut donc déterminer la cible d’inflation, mais n’a pas un mot à dire vis-à-vis de la politique monétaire.

Il devrait en être de même pour la gestion du carbone. Le plus grand risque auquel font face nos nations n’est plus l’inflation, mais les changements climatiques. Nous peinons à agir. We Don’t Look Up.

Afin d’atteindre nos cibles de réduction de GES, la Banque du carbone s’attaquerait à trois paliers : les entreprises – en régulant le prix du carbone de façon indépendante –, les gouvernements – en leur imposant un plafond d’émission de GES, afin d’incorporer l’action climatique à même leurs politiques –, et finalement, les individus – en établissant un budget carbone⁠1, 2 adapté aux réalités individuelles. Ce dernier déclinerait annuellement, favorisant donc la consommation écoresponsable, sans accentuer les inégalités.

Effectivement, le budget carbone ouvre la porte à la taxation progressive ; il s’assurerait que les mieux nantis y mettent du leur, et ce, au bénéfice des moins nantis et de la classe moyenne. Ceux n’utilisant pas tous leurs droits carbone obtiendraient de l’argent – une carotte –, alors que les gros pollueurs seraient davantage taxés – le bâton.

Cette redistribution permettrait à tous de consommer décemment, sans posséder la richesse de Crésus, en plus de diminuer la pollution causée par lesdits Crésus.

Cet aspect est particulièrement important, car le maintien des mesures climatiques repose davantage sur l’opinion populaire à leur égard que sur leur efficacité. Il est primordial qu’obtenir une consommation saine en carbone ne soit pas associé avec une diminution du niveau de vie.

Récapitulons. La démocratie a de nombreuses vertus, mais possède également certaines failles. Les problématiques intergénérationnelles, telles que la crise climatique, en sont une. La Banque du carbone permettrait de porter la voix des générations futures, tout en nous accompagnant dans cette transition, qui est et sera le combat de nos vies.

1. Lisez la chronique de Francis Vailles « Un budget carbone pour discipliner les riches » 2. Lisez le texte « Un budget carbone, d’accord, mais comment ? »

* Cosignataires : Charles-Émile Fecteau, étudiant au doctorat en chimie et au certificat en philosophie à l’Université Laval ; Félix Bhérer-Magnan, candidat au doctorat en science politique à l’Université Laval

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