Ce sont les riches qui réchauffent la planète, pas les pauvres. Et quand je dis riches, je parle de nos riches à nous, nos riches ordinaires, pas les oligarques russes ou les milliardaires américains.

Les plus récents chiffres de leur contribution aux émissions de gaz à effet de serre (GES) sont effarants, comme vous allez voir. Les riches réchauffent la planète par leur consommation quotidienne, leurs voitures plus grosses, leurs chalets, leurs bateaux, leurs quatre-roues, leurs croisières, mais aussi, beaucoup, en raison de leurs placements, auxquels sont associés des GES.

Et avec ce constat vient une question qui prend des allures de nœud gordien : pourquoi les riches auraient-ils le droit d’émettre davantage de GES et donc de mettre notre planète à risque ?

Je pense depuis très longtemps à cette problématique. J’y pense d’autant plus que j’ai choisi le camp du monde des affaires il y a 30 ans, le camp de ce Québec inc. décomplexé, fier, qui n’a plus cette aversion pour l’argent de nos grands-parents judéo-chrétiens. Faire de l’argent n’est pas un péché, mais avec la richesse viennent de lourdes responsabilités dont les riches n’ont pas souvent été conscients.

Voyons les chiffres. Au Canada, les émissions de GES annuelles avoisinent les 10 tonnes par habitant pour les 50 % les plus pauvres, mais 190 tonnes pour les 1 % les plus riches. Les riches contribuent donc 19 fois plus au réchauffement climatique que les pauvres, et 9 fois plus que la classe moyenne.

Ces données viennent de la plus récente World Inequality Database (WID), qu’un groupe d’économistes a publiée à la mi-décembre. Les grands pays y sont comparés, et le Canada fait franchement mauvaise figure.

Le seuil pour faire partie des riches n’est pas si élevé. Selon Statistique Canada, un individu doit gagner plus de 275 000 $ par année – gain en capital compris – pour faire partie du groupe des 1 % les plus riches. Au Québec, ce seuil est de 238 000 $.

En élargissant la notion de richesse aux individus qui font partie du groupe des 10 % les plus riches, le seuil descend à 102 000 $ au Canada. Et ce groupe, selon le classement du WID, émet 60 tonnes de GES par personne chaque année, soit 3 fois plus que la moyenne et 6 fois plus que les pauvres.

Au Québec, le groupe des 10 % est plutôt constitué des individus qui gagnent 91 600 $ et plus, et leurs émissions moyennes avoisineraient les 31 tonnes annuelles par personne, soit 6 fois plus que les 50 % les moins fortunés (1).

Bref, c’est toute l’élite québécoise qui est directement concernée. Ouch !

Bien sûr, ces chiffres de GES pourraient être contestés. D’abord, il s’agit de moyennes, qui ne tiennent pas compte des comportements de chacun. Une famille qui choisit de renoncer à l’automobile, aux voyages en avion et aux autres activités émettrices de GES est assurément bien en bas de cette moyenne.

En 2017, j’avais d’ailleurs donné des exemples précis de comportements pour cinq types de ménages, avec différents rythmes de vie, et constaté que des changements d’habitudes réalistes pouvaient réduire les GES par famille de 30 % d’ici 2030.

Ensuite, ces moyennes englobent bien des éléments difficiles à cerner. Certains GES sont-ils comptés en double ? Sont-ils vraiment attribuables aux personnes plutôt qu’aux entreprises ou autres organisations ?

Il reste que le constat est incontournable : les riches – et les pays riches – contribuent bien davantage au problème, de façon générale. Dans mon étude de 2017, j’avais constaté qu’un couple aisé avec un gros train de vie (deux autos, deux voyages par année, alimentation riche en viande rouge, etc.) brûlait cinq fois plus de GES par personne qu’une famille pauvre, ce qui ressemble aux résultats de la WID.

Lisez « Objectif 2030 : êtes-vous prêts à passer à l’action ? » Lisez « Faire sa part d’efforts sans chambouler sa vie »

Autre élément dans la donne de la WID : les placements. L’argent qui dort dans un fonds commun permet de financer des entreprises, dont les activités polluent. À la Caisse de dépôt et placement, par exemple, chaque million de dollars investi est associé à une production de 49 tonnes de GES.

Les particuliers doivent donc s’assurer que leurs placements soient verts, en plus de leur consommation de tous les jours.

La plupart des économistes jugent qu’un prix très élevé imposé sur le carbone finirait par réduire les émissions. Qu’une telle avenue, entre autres ciblée sur les riches, aurait bien moins d’effets nuisibles sur l’économie qu’une réglementation coercitive.

Par exemple, il pourrait être question d’une taxe musclée sur les billets d’avion de la classe affaires, dont les recettes serviraient à remplir le fonds d’adaptation de 100 milliards destiné aux pays pauvres.

Mais de plus en plus d’observateurs s’interrogent. « On peut travailler avec des outils de l’économie de marché, comme la taxe sur le carbone. Mais à la lumière du défi devant nous et du peu de temps qui reste, ce ne sera pas suffisant », me dit l’économiste François Delorme, qui enseigne à l’Université de Sherbrooke.

Fixer un budget carbone

Les économistes de la WID, sous la codirection de Lucas Chancel, proposent essentiellement deux solutions. D’abord, « il est urgent que les pays » développent des outils pour mesurer les GES par individu, avec un accent particulier sur la consommation et le portefeuille d’investissement.

Ensuite, les autorités doivent se fixer des objectifs clairs en matière de réduction des émissions par habitant. Surtout, « ils doivent développer des systèmes permettant aux individus de vérifier l’écart entre leurs propres niveaux d’émissions et les objectifs nationaux par habitant ».

Dit autrement, ils proposent que chaque individu ait un budget carbone à respecter, en particulier les riches.

N’est-ce pas une avenue que devrait emprunter le Comité consultatif sur les changements climatiques du gouvernement du Québec, présidé par Alain Webster ?

Consultez le World Inequality Report 2022 (en anglais)

1. Les estimations pour le Québec sont de mon cru sur la base de l’Inventaire national de GES et des données canadiennes de la WID.