Les difficultés de l’État à livrer des services à la population a des impacts graves, entre autres sur la santé de notre démocratie. Explications.

On ne le réalise peut-être pas, mais l’incapacité de l’État à livrer des services efficacement n’est pas qu’anecdotique. Elle a un impact sur la confiance de la population dans ses gouvernants et ses institutions.

« La littérature nous dit que globalement, la confiance décline », note le professeur Stéphane Paquin, de l’École nationale d’administration publique (ENAP), qui est également directeur du Groupe d’études et de recherche sur l’international et le Québec. Il cite entre autres un grand sondage de l’OCDE réalisé en 2021 auprès de plusieurs pays, dont le Canada.

Le taux de confiance dans les pouvoirs publics des Canadiens tournait autour de 44 %.

« Ce contexte négatif crée une tension au sein de la population », note Emmanuel Choquette, professeur au département de communication de l’Université de Sherbrooke. « Les gens vont se méfier de tout le monde, avance-t-il. Et les acteurs politiques ne s’aident pas. Comment conçoit-on ce qui est politique ? Quand on dit de quelqu’un qu’il “fait de la politique”, c’est quelque chose de mal, comme un reproche. »

Pour le professeur Éric Bélanger, du département de science politique de l’Université McGill, ce genre de climat ouvre la porte à des discours de remise en question de la taille de l’État (pensons à la réingénierie du gouvernement Charest).

Ça peut aussi alimenter un discours en faveur du secteur privé qui n’est pas une bonne solution aux yeux de Myriam Moore, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). « En éducation, on subventionne les écoles privées, ce qui contribue à créer des inégalités, dit-elle. En santé, on entend un gros discours en faveur du privé, mais il est déjà là. Or, même si on le subventionne, nos services ne sont pas meilleurs. Par exemple, l’offre de service dans les [groupes de médecine de famille] a baissé et l’attente pour une chirurgie n’a pas diminué. »

Le désemparement de la population ouvre la voie au populisme et à des solutions faciles pour répondre au désarroi.

Éric Bélanger, professeur au département de science politique de l’Université McGill

M. Bélanger craint que le fossé se creuse entre les différents camps politiques. « Si ce n’est pas “ta gang” qui est au pouvoir, tu seras encore plus méfiant et tu ne feras pas confiance au gouvernement. Difficile de dialoguer et de trouver des solutions dans ce contexte. Surtout quand les solutions s’avèrent difficiles. »

Myriam Moore fait un lien entre la perte de confiance dans les institutions gouvernementales et l’érosion de la démocratie et de la stabilité. « Il faut s’en inquiéter », insiste-t-elle.

« À mesure qu’on observe une perte d’accès démocratique dans les institutions citoyennes, il y a un risque de perdre la confiance, poursuit-elle. Prenons l’exemple de la future agence centralisée en santé. Si le gouvernement réduit la participation des usagers, il ne renforcera pas la confiance. Plus les gens sont impliqués, plus ils veulent comprendre les problèmes et plus cela renforce leur confiance. Les institutions, ce sont aussi les gens. »

En mode solution

Maintenant, la question qui tue : est-ce que les services publics ont atteint un point de rupture, comme l’a affirmé le chef de l’opposition libérale, Marc Tanguay, en janvier dernier ?

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Le sentiment d’urgence qui habitait la population durant la pandémie est en grande partie responsable de la réussite de la campagne de vaccination.

« Il y a des choses qui fonctionnent », affirme Guylaine Saucier, jointe à Dakar, au Sénégal, alors qu’elle participait à la rencontre annuelle Great Challenges de la Fondation Bill-et-Melinda-Gates, début octobre.

Prenons le processus de vaccination. De façon globale, il a très bien fonctionné. La COVID a suscité un sentiment d’urgence qui a fait bouger le monde. Mais avec le temps, on s’installe. On n’a pas la même motivation en continu.

Guylaine Saucier, présidente du conseil d’administration de l’Institut sur la gouvernance

La fonction publique devrait chercher des pistes d’amélioration comme on le fait dans les entreprises, croit cette gestionnaire de haut niveau qui a siégé à plusieurs conseils d’administration, dont ceux de la Banque de Montréal et de Petro-Canada.

« L’IA peut répondre au manque de main-d’œuvre, explique-t-elle. L’accélération technologique est une partie de la solution. Notre gouvernement doit être éveillé et encourager l’innovation. Ensuite, il faut être capable de s’arrimer pour que nos innovations se reflètent dans nos systèmes de santé, par exemple. »

Guylaine Saucier estime en outre que le gouvernement doit faire preuve de plus de transparence. « C’est la base », lance-t-elle, donnant l’exemple des grands projets de l’État au sujet desquels on peine à avoir de l’information. « L’analyse des besoins, l’argent, la rentabilité, l’impact, la reddition de comptes… Tout cela a un impact sur la confiance de la population. »

Le professeur de l’ENAP Stéphane Paquin suggère quant à lui de s’inspirer des Suédois en créant des agences externes indépendantes qui évalueraient sans cesse la performance des différents organismes et ministères. « Ces agences auraient un mandat d’évaluation continue pour des services essentiels comme les garderies, la santé, etc. », propose-t-il.

À l’obligation de transparence, la chercheuse Myriam Moore, de l’IRIS, ajoute une idée plus étonnante : l’implication citoyenne.

En quoi peut-elle aider à rendre les services publics plus efficaces ?

« Il faut relire les travaux de l’économiste Elinor Ostrom, Prix Nobel d’économie 2009, lance la chercheuse. Elle parle de coproduction des services. En gros, plus on accorde de la confiance aux gens sur le terrain, plus les services sont capables de répondre aux besoins de la population. »

N’est-ce pas le premier objectif qui devrait guider nos services publics ?