Les campements de sans-abri se multiplient sur l’île de Montréal. Qu’arrivera-t-il quand le froid deviendra intolérable ?

Depuis quelques semaines, il y a un campement de sans-abri à côté de La Presse. Ils sont une quinzaine, installés dans le parc à l’angle des rues Saint-Urbain et Saint-Antoine, entre le Quartier chinois et le Vieux-Montréal. Hommes, femmes, jeunes et moins jeunes, ça consomme beaucoup. Parfois une chicane éclate. En général, ils ne dérangent personne.

Les « campeurs » sont entourés de leurs sacs et de leurs valises. Certains d’entre eux ont déniché des parasols pour se construire un abri. Peu à peu, des tentes sont apparues. Mercredi il y en avait au moins quatre.

De temps en temps, la police débarque et vide le parc, toujours à la demande de l’arrondissement de Ville-Marie, me précise-t-on au SPVM. Les « campeurs » reviennent quelques heures plus tard.

L’hiver est à nos portes et je m’inquiète pour mes nouveaux voisins. Qui s’assurera qu’ils sont au chaud et en sécurité ? Qui est responsable ? La réponse n’est pas simple.

À la rencontre des sans-abri

Premier coup de fil à la Mission Old Brewery, le « voisin d’en face » de La Presse. Depuis l’an dernier, en collaboration avec l’Accueil Bonneau, l’organisme a mis sur pied une clinique mobile qui va à la rencontre des sans-abri. Nicholas Singcaster, un des intervenants, me fait visiter la camionnette flambant neuve dans laquelle on trouve une table, deux banquettes et une petite infirmerie tout équipée.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

La camionnette qui sert de clinique mobile, un projet de la Mission Old Brewery et de l’Accueil Bonneau.

Le jour de notre rencontre, la camionnette est stationnée devant le campement où Nicholas a commencé à faire les premières approches. Qu’est-ce que tu leur dis, Nicholas ? « Je leur demande de quoi ils ont besoin », me répond le grand gaillard qui les visitera régulièrement. Il leur offre une barre tendre, essaie de voir s’il ne peut pas les diriger vers un service en particulier. Son objectif : répondre aux besoins de base et, ultimement, essayer de trouver une autre solution que la tente.

On connaît certains d’entre eux, ils fréquentent notre café et utilisent nos installations. Dans ce parc, ils sont visibles de la rue, ils se sentent en sécurité.

Nicholas Singcaster, intervenant de la Mission Old Brewery

« Depuis juin, on remarque qu’il y a de plus en plus de femmes qui sont très abîmées par la consommation, ajoute sa collègue Émilie Fortier, directrice des services en itinérance. Il y a beaucoup d’enjeux de santé mentale, de consommation. Il faut trouver d’autres solutions. »

Émilie me rappelle que pour avoir accès à une subvention au loyer, il faut remplir certains papiers. « On peut les aider à faire un rapport d’impôt et à s’inscrire à la RRQ, explique-t-elle. On les réfère à des ressources en santé mentale au besoin. »

La Mission Old Brewery met de l’avant l’approche Logement d’abord (Housing First) qui a permis de trouver un toit à quatre personnes du campement sous l’autoroute Ville-Marie, démantelé l’été dernier. Mais il y a plusieurs obstacles. « Les appartements sont conçus pour une seule personne. Or, les couples veulent rester ensemble. Et les animaux ne sont pas acceptés. Quand on leur dit qu’il y a une rencontre une fois par semaine avec un intervenant, certains refusent net. Ils sont réfractaires à la rigidité d’un horaire, au code de vie », m’explique la coordonnatrice des services, Mila Alexova.

À ma grande surprise, l’équipe de la clinique mobile n’a aucune idée si d’autres intervenants communautaires ont visité ce campement avant eux. « C’est déjà arrivé qu’on réalise que la même personne au parc Émilie-Gamelin avait vu huit intervenants différents, me confie Émilie Fortier. Il faut éviter ça. »

Le SPVM en soutien

Mon deuxième appel est pour le Service de police de la Ville de Montréal. Le commandant Alexandre Lelièvre est chef du module Intervention et soutien pluridisciplinaire. Il coordonne une équipe d’une quarantaine de personnes (30 policiers, 4 superviseurs, 5 civils conseillers en développement communautaire) qui interviennent en soutien aux postes de quartier. « Quand il y a démantèlement, on est là pour s’assurer que tout se passe de manière ordonnée et sécuritaire. »

Le commandant Lelièvre me confirme que le campement voisin de La Presse est sur le radar du SPVM. Quant à savoir combien de fois ses escouades y sont intervenues, ou ce qu’elles ont fait exactement, ce n’est pas clair.

Nous avons mené des activités de rapprochement, on a fait du référencement aux organismes communautaires, mais on ne répertorie pas chaque action…

Alexandre Lelièvre, commandant du module Intervention et soutien pluridisciplinaire du SPVM

Les agents du SPVM ont sûrement échangé de manière informelle avec le personnel de la Mission Old Brewery, mais il n’y a aucune trace de ces interactions. Après toutes ces années, j’aurais cru qu’on coordonnait beaucoup mieux les interventions sur le terrain. Personne ne semble avoir une vue d’ensemble de la situation des campements au centre-ville.

Je comprends que les sans-abri qui dorment à côté de La Presse viennent sans doute de la rue Sainte-Catherine, où le SPVM a fait une intervention l’été dernier. Résultat : les sans-abri se sont déplacés plus au sud. Qu’arrivera-t-il si on les repousse encore ? Où iront-ils ? Dans Hochelaga ? Dans le fleuve ?

J’ai aussi parlé à la commandante Krisztina Balogh, chef d’unité au poste de quartier 21, qui est responsable du territoire où se trouve le campement.

Elle me confirme que ses équipes sont intervenues à plusieurs reprises au parc de La Presse. « Le service des parcs nous a avisés qu’il y avait un ramassis de déchets, que c’était sale et surpeuplé », précise-t-elle.

Le poste de quartier 21 siège à une dizaine de comités en lien avec l’itinérance dans le quartier, mais n’est pas en mesure de me dire combien de campements se trouvent sur son territoire. « On ne les compte pas, car ça bouge trop », affirme la commandante Balogh, qui m’assure toutefois que tous les intervenants sont en mode solution en prévision de l’hiver. « On ne veut pas que quelqu’un meure d’hypothermie. On va ouvrir des haltes-chaleur. »

Et la Ville de Montréal ?

Mon dernier appel est à la Ville de Montréal. Il faut savoir qu’il n’y a pas UNE politique pour toute la ville à propos des campements, mais que « chaque arrondissement gère la situation selon sa réalité », m’explique Serge Lareault, commissaire aux personnes en situation d’itinérance. Sur le terrain, certains organismes communautaires notent toutefois que depuis quelque temps, la Ville semble être en « mode démantèlement », et que ses actions visent surtout à diminuer la « nuisance ».

Serge Lareault reprend les mots de la mairesse Valérie Plante : « Les campements ne sont pas une solution viable et sécuritaire. » Mais il reconnaît à son tour que ce n’est pas facile de trouver une place pour tout le monde.

Il faut être en dialogue constant avec les gens qui sont isolés. On n’a pas perdu le contrôle, mais c’est vrai que la problématique des campements est en augmentation.

Serge Lareault, commissaire aux personnes en situation d’itinérance de la Ville de Montréal

Pas de solution magique

Les campements sont une réalité avec laquelle la Ville de Montréal n’a pas fini de composer. Elle se retrouve coincée avec d’un côté une population de plus en plus vulnérable aux prises avec des problèmes complexes, et de l’autre des citoyens dont la tolérance est parfois mise à rude épreuve.

Depuis un an, les campements se sont multipliés. Je suis d’accord que les campements ne sont pas une solution, mais je ne pense pas que les démantèlements en série règlent quoi que ce soit. On déplace le problème, sans plus.

On en revient toujours à la même chose : il manque de logements et d’accompagnement en santé mentale.

Le campement voisin de La Presse m’a permis de constater qu’il reste encore du travail à faire pour éviter de dédoubler le travail des intervenants sur le terrain. Il manque aussi un leader qui a une vue d’ensemble du dossier des campements. L’approche demeure morcelée.

La mairesse Plante a beau lancer la balle à Québec, qui est l’ultime responsable des dossiers d’habitation et de services sociaux, c’est elle qui est prise avec le problème au quotidien. Les prochaines élections municipales auront lieu en 2025 et l’itinérance et la cohabitation sociale seront probablement un des enjeux de la campagne. Pour l’instant, les yeux sont tournés vers le gouvernement Legault et sa prochaine mise à jour économique. Y aura-t-il suffisamment d’argent pour aider les sans-abri à passer l’hiver ? Et surtout, y aura-t-il des fonds récurrents qui permettraient de développer des solutions à long terme ?

Pour mes nouveaux voisins, je l’espère.

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