Andrew Tate et ses émules ont une influence concrète sur le discours et le comportement des adolescents. Mais est-ce qu’on s’en fait trop ? N’est-il pas normal pour un jeune de chercher à provoquer ? De vouloir tester les limites ?

Autrement dit, devrait-on s’inquiéter ou laisser le temps faire son travail ?

C’est vrai qu’il existe une forme de résistance chez les jeunes de toutes les générations face au discours dominant. C’est vrai aussi que nos opinions tendent à devenir moins tranchées en vieillissant.

Or, la vraie question est ailleurs, croit la pédopsychiatre Cécile Rousseau.

« Pourquoi est-ce qu’Andrew Tate est aussi populaire chez les garçons ? Qu’est-ce qui est attirant là-dedans ? », pose-t-elle.

Andrew Tate est un symptôme. Il répond à quelque chose. Un besoin. Un manque. Une perte de repères ?

« Exactement », répond la Dre Rousseau.

Mettons-nous dans la peau d’un adolescent de 14 ans. Un peu partout, il entend que la masculinité est synonyme de toxicité. Il entend des termes comme « masculinité positive », qui fait la promotion d’une masculinité saine, dépourvue de violence, mais qui finalement implique que la masculinité est, à la base, négative.

« Les façons de parler de masculinité dans notre société ne sont pas attirantes », observe Cécile Rousseau.

De son côté, Andrew Tate offre des réponses claires et séduisantes. Voici ce qu’est un homme et voici comment le devenir en cinq étapes faciles.

La confusion identitaire est « souffrante », rappelle la pédopsychiatre. Et pour s’en protéger, un jeune peut être porté à « revenir à des certitudes ».

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Cécile Rousseau, pédopsychiatre

Je pense qu’il faut entendre ce qui est une rébellion légitime par rapport à ce que notre société propose aux garçons. Peut-être que les garçons ont besoin d’un espace de parole, où ils peuvent se redéfinir en dehors d’une masculinité toxique et positive.

Cécile Rousseau, pédopsychiatre

Ne pas ignorer le problème

Ce qui ne veut pas dire qu’on ne devrait rien faire face à la popularité d’Andrew Tate et de son discours, comprend-on.

Pour Louis Audet-Gosselin, du Centre de la prévention de la radicalisation, on ne peut pas ignorer le problème en espérant qu’il disparaisse. « Il y a quand même quelque chose de préoccupant dans la mesure où ce sont des propos haineux », souligne-t-il.

Aussi, tout un écosystème en ligne surnommé la « manosphère », qui s’oppose à l’égalité des genres et fomente une haine envers les femmes, alimente le phénomène.

Attention : c’est loin d’être tous les jeunes qui vont se radicaliser si leurs opinions ne s’adoucissent pas avec l’âge. L’expert reconnaît cependant certaines conditions du processus de radicalisation chez une partie des garçons. « Le sentiment de marginalisation, une construction identitaire qui [est] brimée ou pas nécessairement valorisée », énumère-t-il.

Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Il faut trouver les bonnes façons d’en parler, croit-il. Et le fléau de la misogynie n’est pas un enjeu à aborder en classe entre deux chapitres d’un manuel.

Souvent, les ateliers et les formations sur ce genre d’enjeu vont être donnés une fois. Ils vont soulever toutes sortes de discussions, et on va passer à autre chose. Ça va ouvrir des brèches qu’on ne va pas refermer.

Louis Audet-Gosselin, directeur scientifique du Centre de la prévention de la radicalisation menant à la violence

Et les enseignants, aussi bien intentionnés soient-ils, ne sont pas nécessairement outillés pour mener ce genre de discussions. L’expert souligne l’importance d’avoir des professionnels formés présents lors de ces discussions, et par la suite, d’assurer des suivis individuels.

Mais il faut ouvrir la discussion, estime l’autrice et réalisatrice Léa Clermont-Dion. Ce qui s’observe dans les écoles est, à ses yeux, le « symptôme d’une absence de dialogue sur ces enjeux ».

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Léa Clermont-Dion, autrice et réalisatrice

Si on abordait ces thématiques, et si on était plus connecté à ces discours, on pourrait mieux les mettre en contexte et essayer de décortiquer ces propos avec les jeunes.

Léa Clermont-Dion, autrice et réalisatrice

Car actuellement, ces discussions ont lieu sur les réseaux sociaux, où les jeunes sont vulnérables face à des influenceurs masculinistes comme Andrew Tate qui « exploitent leur quête identitaire », précise la chercheuse postdoctorale.

Combattre les discours sexistes ne tient pas uniquement de la responsabilité de l’école, pensent les experts consultés. Cela demande la participation de toutes les sphères de la société : les parents, oui, mais aussi les organismes communautaires, les médias, le gouvernement, les réseaux sociaux…

« Je pense que c’est important d’avoir des prises de parole un peu plus complexes qui sortent des dichotomies, du blâme et de la condamnation », fait valoir la Dre Cécile Rousseau.

« Le questionnement identitaire est nécessaire et présent chez tous les adolescents, mais il faut que ce soit accompagné et porté par des adultes qui peuvent guider ces quêtes-là. »