« Oui, la situation est difficile, mais tout le monde peut faire quelque chose contre la polarisation » dans son entourage, assure la Dre Cécile Rousseau, directrice de la Clinique de polarisation au CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal. Voici comment. Attention, la recette demande beaucoup de patience et n’est pas (toujours) facile à suivre.

Ne pas diaboliser les autres

Ne pas être d’accord avec quelqu’un, c’est une chose. Le diaboliser en le traitant de « barbare, de sans-dessein, à la limite d’animal », c’est un signe évident de polarisation, dit la Dre Cécile Rousseau. « On a assisté à cette simplification durant la pandémie. Pour certains, les antivax étaient des stupides, des criminels, des égoïstes, et l’inverse était aussi vrai », dit-elle.

Attention à la réaction en miroir

Quand le ton monte, prenez une grande respiration. Sinon on risque d’adopter le même ton que celui de la personne qui nous fait monter la moutarde au nez. « Il faut sortir du jeu de l’escalade », dit la Dre Cécile Rousseau. Même avec le politicien le plus polarisant en Occident. « Quand les gens écoutent Donald Trump, qu’on soit pour ou contre lui, le risque, c’est qu’on devienne comme lui », dit-elle.

Accepter que le monde soit complexe

Dans une société ultrapolarisée, il y a deux camps. Les bons et les méchants. Tout est blanc ou noir. Il n’y a plus de nuances. « Les idéologies essaient de trouver des solutions simples à des problèmes complexes. Le mouvement contraire, c’est d’aider les gens à tolérer la complexité », dit Christian Savard, psychologue à la clinique Polarisation. « Il y a un éventail de positions complexes dans la société », rappelle la Dre Cécile Rousseau. Par exemple, on n’est pas automatiquement transphobe ou homophobe si on a des questions sur les enjeux d’identité de genre.

Faire preuve d’empathie au lieu d’étriper son voisin

« Si je ne suis pas d’accord avec une personne et que j’ai envie de l’étriper, est-ce que je peux me demander pourquoi cette personne pense comme ça ? Souvent, c’est de la peine, de l’isolement, de la détresse, les conséquences économiques de l’inflation, dit la Dre Cécile Rousseau. On a toujours eu des désaccords dans la société québécoise. Pourquoi ces désaccords font maintenant que je veux insulter mon voisin ? On peut être en désaccord, c’est quand même mon voisin. Il plante de belles fleurs. »

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L’influenceur Andrew Tate, à gauche, et son frère Tristan, à leur arrivée au tribunal de Bucarest, au début du mois. Les frères Tate sont tous deux accusés de trafic d’êtres humains en Roumanie.

Introduire un doute

La pire chose à faire devant une personne ayant un point de vue radical et décoiffant : l’affronter. La Dre Cécile Rousseau prend l’exemple des jeunes hommes séduits par l’idéologie masculiniste d’Andrew Tate. « Il ne s’agit pas de se fâcher quand un jeune est attiré par Andrew Tate. On peut plutôt leur demander : pourquoi tu trouves que ça a du bon sens », dit la Dre Rousseau. Pour le faire éventuellement changer d’idée, vaut mieux semer progressivement un doute sur ses convictions, estime le psychologue Christian Savard. Un doute qui peut grossir de fil en aiguille.

Mettre ses limites

Attention : permettre la discussion sans affronter les gens ne signifie pas leur permettre de dire n’importe quoi. « Il faut mettre des limites, comme respecter la loi, pas d’insultes ni de menaces. Je respecte ce que tu me dis [sans être d’accord], mais tu ne peux pas m’insulter », dit la Dre Cécile Rousseau.

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En coupant les liens, on accélère souvent le processus de radicalisation. « Ce n’est pas en punissant les gens, en les excluant, qu’on va faire quelque chose », dit la Dre Cécile Rousseau.

Garder des liens

En coupant les liens, on accélère souvent le processus de radicalisation. « Ce n’est pas en punissant les gens, en les excluant, qu’on va faire quelque chose », dit la Dre Rousseau. Autant que possible, on doit « maintenir les liens et construire la relation autour des points communs, des plaisirs encore possibles », dit le psychologue Christian Savard. Sinon, vos proches qui vous inquiètent risquent de s’isoler encore plus.

Des parents attentifs

Deux conseils spécifiquement pour les parents : tentez de vous renseigner sur les fréquentations en ligne de vos enfants, et écoutez ce que vos enfants vous disent au lieu de leur faire tout de suite la morale. « Il faut écouter la détresse des jeunes, comprendre sans exclure ni condamner, être empathique et lucide en même temps », dit la Dre Rousseau. Les parents peuvent aussi chercher de l’aide dans cette situation.

Ne pas se laisser envahir par le désespoir

Tous les conseils précédents visent surtout nos rapports aux autres. Or, il faut aussi penser à soi. Ne pas se laisser envahir par la colère autour de soi. « On est bombardé de situations où les gens sont insultants ou agressifs, dit la Dre Rousseau. Quand on sent le besoin de décrocher, on peut aller marcher. Arrêter de regarder les nouvelles si on ne les supporte plus. Ça ne veut pas dire qu’on est indifférent à la situation. Ça veut dire qu’on ne se laisse pas envahir par le désespoir. Il faut cultiver l’espoir. »

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