On ne peut pas réussir en politique si on ne reconnaît pas la causalité, mieux connue sous le nom de « rapport de cause à effet ». Impossible de changer les effets sans avoir d’abord bien identifié et, ensuite, agi sur les causes. C’est particulièrement vrai quand on parle d’immigration.

Malheureusement, plusieurs de nos leaders politiques ont choisi de faire des amalgames faciles entre crise du logement et immigration.

C’est ce qu’a fait, cette semaine encore, le chef conservateur Pierre Poilievre, qui demande une baisse importante des seuils d’immigration pour régler la crise dans l’habitation en faisant une équation douteuse.

Il faut d’abord établir clairement une chose : la crise du logement est loin d’être nouvelle et elle a aussi existé dans des périodes où l’immigration était beaucoup plus contrôlée.

Dans la grande région de Montréal, par exemple, on peut dire que la crise est devenue quasi permanente dans les années qui ont suivi l’Expo 67. En passant, cela n’est plus exclusif à Montréal, mais le rappel historique est utile.

Dans les années 1970, alors que Montréal commençait à se dépeupler, le président du comité exécutif, Yvon Lamarre – le maire étant encore trop occupé par ses grands projets –, avait lancé ce qui allait devenir « l’Opération 20 000 logements ». Une première incursion dans le logement communautaire qui fut couronnée de succès.

Mais ce n’était pas assez. En 1982, le président de la FTQ, Louis Laberge – comme quoi, il n’y a pas que les gouvernements qui peuvent agir – propose « Corvée habitation », qui donnera la construction de 50 000 logements, surtout à Montréal et en banlieue. Effet secondaire heureux : cela entraînera la création du Fonds de solidarité.

Pendant les années 1990, c’est l’administration du maire Jean Doré qui s’occupe de revitaliser les faubourgs du centre-ville. Puis, le gouvernement de Lucien Bouchard investira de façon importante en habitation communautaire dans le cadre des programmes de relance de l’économie.

Tout cela pour montrer que la crise du logement n’est pas nouvelle et qu’il est donc inexact de la faire porter entièrement sur l’immigration. Ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que l’immigration ne contribue pas à l’aggraver.

Les causes de la crise sont diverses et les explications sont différentes selon qu’on soit plutôt à droite ou plutôt à gauche. Mais elles se rejoignent sur les conclusions.

À droite, cette semaine, le Conseil du patronat du Québec (CPQ) rappelait que l’immigration n’est pas la cause directe de la crise du logement et que « d’autres facteurs jouent un rôle prépondérant dans cette situation complexe ».

Le Conseil cite « le manque de productivité dans le secteur de la construction, les fluctuations économiques et les coûts de construction élevés ». On pourrait ajouter la pénurie de main-d’œuvre et la pandémie qui a provoqué un arrêt presque complet de la construction. D’un point de vue encore plus à droite, on cite le contrôle des loyers qui, à terme, conduit à un vieillissement du parc locatif et à un manque d’incitatifs à rénover. Il devient alors plus payant de procéder aux « rénovictions » actuelles.

Argument intéressant du CPQ : « Les villes du Québec ayant le plus faible taux d’inoccupation se trouvent en région, là où le pourcentage de population immigrante est le plus bas. » Exemple : Gaspé a un taux d’inoccupation de 0 % avec 2 % de population immigrante.

Le contraire est aussi vrai.

Montréal, qui accueille le plus de nouveaux arrivants, est dans les quatre grandes villes qui ont le taux d’inoccupation le plus élevé. Bref, blâmer l’immigration pour la crise du logement est un énorme raccourci.

À gauche, mêmes conclusions à partir de données différentes. Le mois dernier, l’Institut de recherches et d’informations socioéconomiques (IRIS) a publié une étude montrant que les nouveaux immigrants constituent moins de 2 % de la population et donc « ne représentent qu’une petite partie de la nouvelle demande pour des logements ». C’est comme un retour au temps « où l’on blâmait injustement les immigrants pour le chômage élevé », croit l’IRIS.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre

Sans oublier un désengagement de plus en plus important des gouvernements dans le logement social, dont un retrait complet des subventions du gouvernement fédéral dans les années 1990.

Le plus récent raccourci vient du chef conservateur Pierre Poilievre, qui a affirmé cette semaine à Québec que la solution devait être mathématique : on ne peut pas admettre plus d’immigrants qu’il y a de nouveaux logements bâtis au cours de l’année.

« Si on augmente le nombre de maisons de 2-3 % [par an], on ne peut pas augmenter notre population plus rapidement que ça. Ce n’est même pas une question d’être pro ou anti-immigrants, c’est une question d’être promathématiques », disait M. Poilievre.

Un argument qui a l’air plein de « gros bon sens » comme les aime le chef conservateur, sauf qu’on ne peut réduire une situation aussi complexe à une simple équation.

Avec, en prime, une charge injustifiée contre les maires Bruno Marchand et Valérie Plante, qui n’était rien d’autre que de la viande rouge pour les militants conservateurs qui détestent déjà ces maires « gauchistes ». Ça ne lui fera pas perdre un seul vote.

Mais ça ne nous dit pas qu’il est capable d’identifier les véritables causes des crises, plutôt que de tout réduire à un slogan.