Le ton monte de nouveau entre Pierre Poilievre et les élus municipaux québécois. Le chef conservateur a attaqué de front jeudi la mairesse de Montréal, Valérie Plante, et le maire de Québec, Bruno Marchand, qu’il qualifie d’« incompétents ». Il les accuse de bloquer des chantiers d’habitation.

« Chute massive de la construction au Québec, tandis que Trudeau verse des milliards aux maires incompétents, Marchand et Plante, qui bloquent des chantiers. L’argent fédéral pour les villes sera lié au nombre de maisons et d’appartements bâtis quand je serai PM », a assené M. Poilievre sur son compte X.

Il faisait référence à la baisse draconienne des mises en chantier dans plusieurs villes canadiennes, ainsi que le révélait un bilan publié mardi par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Sur l’île de Montréal, les mises en chantier ont diminué de 26 % depuis un an pour s’établir à 7705 nouveaux logements.

Rapidement, Valérie Plante a rétorqué au chef conservateur qu’« [a]vant de traiter qui que ce soit d’incompétent, M. Poilievre devrait comprendre qu’au Québec, le financement fédéral en habitation ne passe PAS par les villes ».

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Le maire de Québec, Bruno Marchand, et la mairesse de Montréal, Valérie Plante

Une entente cruciale

Au Québec, le gouvernement fédéral doit en effet passer par son homologue provincial pour financer des projets d’habitation. « Le “gros bon sens”, c’est aussi de comprendre les mécanismes de financement propres à chaque province », a lancé Mme Plante, en recyclant l’un des slogans préférés du conservateur.

Répétant que « la crise du logement affecte tout le monde », Mme Plante a également fait valoir que « dans de telles circonstances, la qualité d’un chef se mesure à sa capacité à rassembler les forces vives pour y faire face ». « Nous attendons vivement son plan d’action concret et chiffré pour loger notre monde. »

Le maire Bruno Marchand n’a pas tardé à réagir, lui non plus. « C’est comme ça qu’il traite les politiciens québécois. C’est un témoignage d’un profond mépris envers les politiciens québécois. Pour un homme qui veut être chef d’État, agir ainsi, c’est le contraire, ce n’est pas du tout le gros bon sens », a-t-il dit en point de presse.

M. Marchand a accusé le conservateur de « se foutre des règles » et de montrer qu’il « en fera fi » une fois au pouvoir. « C’est très décevant. […] Quand on veut être premier ministre, le gros bon sens, c’est de respecter les gens, c’est de comprendre les mécanismes qui vont nous gouverner », a d’ailleurs réitéré l’élu, avant d’ajouter : « On ne bloque aucun chantier, on est dans un processus d’accélération même. »

Pas une première

Depuis un moment déjà, M. Poilievre tient régulièrement les villes canadiennes responsables du faible nombre de mises en chantier. « Il faut enlever les gouvernements locaux du chemin des constructeurs », avait lancé le chef conservateur en septembre en marge du congrès de l’Association des villes ontariennes.

S’il est élu, le chef conservateur veut imposer aux villes d’augmenter de 15 % le nombre de permis de construction pour continuer à recevoir du financement fédéral. Il a aussi déjà tenu les villes responsables de la hausse de la criminalité durant la pandémie.

L’Union des municipalités du Québec (UMQ) a de son côté dénoncé les « propos méprisants » de M. Poilievre « dans un dossier aussi important », en invitant le conservateur à « éviter les raccourcis simplistes et à faire preuve de respect ».

Plus tard en après-midi, M. Poilievre a félicité les villes de Trois-Rivières, Saguenay et Victoriaville pour l’augmentation de leurs mises en chantier tout en continuant à fustiger Montréal et Québec.

Le chef bloquiste, Yves-François Blanchet, a aussi ajouté son grain de sel. « Pierre Poilievre impute aux municipalités la responsabilité de la crise du logement autant qu’à Justin Trudeau quand on l’écoute. […] Il ne fera pas mieux que les libéraux ni en termes d’ingérence ni en termes de mépris. »

Des excuses demandées

Le premier ministre Justin Trudeau et le chef néo-démocrate Jagmeet Singh ont sommé le chef conservateur de présenter ses excuses.

« Je suis extrêmement déçu de ce qu’on a vu de M. Poilievre aujourd’hui par rapport à son mépris pour élus québécois », a réagi M. Trudeau depuis le Nunavut.

PHOTO DUSTIN PATAR, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre Justin Trudeau en point de presse au Nunavut, jeudi

Ça fait plusieurs fois maintenant [que Pierre Poilievre] a démontré une condescendance et une ignorance par rapport à comment les choses fonctionnent entre le gouvernement fédéral et les provinces.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

« Je pense qu’il est grand temps qu’il s’excuse pour son comportement et pour ce qu’il est en train de dire en s’attaquant à des élus au Québec », a-t-il ajouté.

« C’est inacceptable, ce que Pierre Poilievre a fait », a dénoncé M. Singh en conférence de presse. « Ce n’est pas un exemple d’un leader d’insulter les maires des plus grandes villes au Québec. C’est quelque chose que font les enfants d’insulter les autres, mais c’est exactement le caractère de M. Poilievre : quelqu’un qui veut insulter au lieu de trouver des solutions, veut diviser au lieu de proposer des solutions. »

Le tweet initial de M. Poilievre citait des propos de l’économiste de la SCHL, Francis Cortellino, qui avait fait valoir cette semaine qu’au Québec, jamais il ne s’était construit si peu de maisons depuis 1955.

Une précision s’impose toutefois : l’expert de la SCHL faisait uniquement référence à la construction de maisons individuelles. Or, depuis de nombreuses années, la majorité des mises en chantier concernent des logements multiples, comme des condos. Ainsi, malgré l’important ralentissement observé en 2023, cette année n’a pas été la plus faible en mises en chantier au Québec. On comptait moitié moins de constructions au début des années 1980 et 1990, alors que le pays était touché par des crises économiques.

Avec Pierre-André Normandin et Mylène Crête, La Presse