On ne s’étonnera pas qu’un amateur de hockey comme Denis Coderre soit un partisan de la « théorie des chaises » de Martin St-Louis, l’entraîneur et philosophe en résidence du Canadien de Montréal. Elle pourrait se résumer ainsi : dans la vie, il faut savoir quelle est sa chaise, mais aussi être capable de voler une chaise pour avancer.

Denis Coderre, lui, n’a jamais vu une chaise de chef libre sans avoir envie de l’occuper. Après la défaite du Parti libéral du Canada aux élections de 2011 et la démission de Michael Ignatieff, il avait déjà annoncé que son avenir était « à la chefferie [du PLC] ou à la mairie » de Montréal.

Quand il est devenu évident que Justin Trudeau allait être le prochain chef du Parti libéral, Denis Coderre s’est donc tout naturellement tourné vers la mairie de Montréal, où, après l’administration discréditée de Gérald Tremblay, un comité exécutif de fortune gérait les affaires courantes.

Il fut élu maire le 3 novembre 2013, mais avec à peine 32 % des voix – beaucoup moins que les prévisions des sondages – et sans majorité au conseil municipal. Pas précisément un mandat fort.

Cela n’a pas empêché Denis Coderre, finalement boss de quelque chose, de décréter qu’il y avait désormais « un nouveau shérif en ville ». Et de se comporter comme tel.

Quatre ans plus tard, la sanction fut sévère. Avec 45 % des voix – contre 51 % pour une Valérie Plante alors pratiquement inconnue du public –, Denis Coderre était désavoué par ses concitoyens.

PHOTO SIMON GIROUX, ARCHIVES LA PRESSE

Excédé par le comportement « sauvage » de Postes Canada dans l’implantation de ses boîtes postales communautaires, le maire de Montréal avait lui-même détruit une installation de la société d’État dans un parc de Pierrefonds, en août 2015.

Le shérif avait un bilan bien mince. Il avait laissé l’administration quotidienne à son président du comité exécutif pour se concentrer sur les dossiers qui l’intéressaient : un décevant statut de métropole octroyé par Québec, beaucoup de voyages pour pratiquer ce qu’il appelait la « diplomatie municipale » et un appui de tous les instants au retour des Expos et à la construction d’un stade au centre-ville.

Sa défaite ne l’a pas empêché de préparer son grand retour à la mairie. Mais aux élections de novembre 2021, il fut défait une nouvelle fois par Valérie Plante, l’ancien maire obtenant cette fois un peu moins de 38 % des voix.

Que s’est-il passé après toutes ces années de vie politique pour que Denis Coderre soit ainsi rejeté deux fois par ses concitoyens ? Dit simplement, ce qui était vu comme des qualités à une certaine époque était devenu des défauts pour un politicien.

Personne n’a jamais douté qu’il travaillait fort. Ce bourreau de travail ne comptait pas ses heures. Il était partout en ville, ce qui lui a valu le surnom d’omnimaire. Mais à l’hôtel de ville, on appelait ça « le one-man-show Coderre », le travail en équipe n’ayant jamais été son fort.

Les électeurs voulaient une autre approche, qu’on s’occupe un peu plus d’urbanisme et moins de développement. On lui a aussi reproché son désintérêt pour les transports en commun.

Il y avait aussi une question de style. Il fut un temps où les hommes forts, qui fonçaient sans trop écouter les critiques, avaient la cote. Jean Drapeau en fut le meilleur exemple. Mais après le fiasco du chantier olympique, les « grands projets » ont commencé à être vus avec beaucoup de suspicion.

De même, les électeurs ne voulaient plus de politiciens qui cultivent le secret – l’essence même du style Drapeau – et exigeaient plutôt transparence et reddition de comptes. Pas vraiment une des priorités du maire Coderre.

Plusieurs analystes ont soutenu qu’il avait perdu sa réélection en 2017 essentiellement parce qu’il avait refusé de dévoiler le bilan financier désastreux de la course de Formule E, qui avait été organisée par la Ville.

Et, il faut le dire, Denis Coderre ne détestait pas utiliser l’intimidation pour arriver à ses fins.

Une question posée par un journaliste ou un opposant, jugée inopportune, pouvait provoquer des menaces et une place sur sa liste noire personnelle. En toute honnêteté, il faut aussi dire que la rancune de Denis Coderre ne durait jamais très longtemps.

Mais il a toujours eu du mal à cacher son côté bully, comme on dit en anglais, et quand quelque chose ne faisait pas son affaire, il élevait la voix et pouvait rapidement recourir à la menace.

À son retour en 2021, un journal avait publié une photo le montrant avec un cellulaire au volant. Au lieu de s’excuser et de passer à autre chose, il a tout nié sur le ton de la confrontation avec tous ceux qui l’interrogeaient sur la question. Ce type d’intimidation n’était déjà plus toléré de la part d’un politicien.

Il se dit maintenant intéressé par la direction du Parti libéral du Québec, une option qu’il rejetait il y a 14 mois en disant : « Tu ne peux pas te présenter à tous les râteliers. » Sage conseil. Dommage que, voyant encore une fois une chaise de chef qui était libre, il ne s’en souvienne plus.