L’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde

Lorsque le chien entend la porte de l’armoire où se trouvent les croquettes, ses oreilles se tendent. Il sait. Au bruit du sac, il arrive la gueule baveuse. Des histoires plus ou moins reliées cette semaine. Un petit dimanche ? À vous d’y voir.

Un conditionnement, ça s’appelle. Il salive jusqu’à l’égouttement, sachant qu’il va manger. La digestion commence bien avant qu’il ait ingurgité la moindre nourriture. Ça ressemble parfois aussi aux annonces politiques. On y revient.

Les cris d’outardes tôt le matin. Les arbres qui s’effeuillent. Les mulots qui veulent entrer dans la maison. Les champs de citrouilles. C’est l’automne. On parle ici d’intelligence artificielle, d’une usine de batteries, et ici et là un peu de la loi C-18.

Parlant d’automne, il y a quelque temps, c’était la semaine d’intégration dans les universités. On dit maintenant intégration pour éviter le mot initiation, mis à mal ces dernières années. C’est pour favoriser l’entrée, ouvrir un passage, créer une camaraderie, des relations humaines, un esprit de communauté. Du genre réseaux sociaux, mais en vrai.

Deux témoignages un peu étonnants entendus ces derniers jours : bien que l’on fasse appel à des agences de sécurité et que les directions de programmes et d’associations universitaires mettent tout en place pour « encadrer » les nouveaux étudiants, il arrive que des dérapages soient possibles. Au cœur de tout ça, l’alcool, on le devine. Car c’est au centre de l’idée de liberté et de progrès (ça et l’ivresse des annonces gouvernementales). La boisson, ça désinhibe et c’est très heureux pour plusieurs. Mais il arrive aussi que ça dérape.

Le lendemain des deux évènements portés à mon attention, des courriels plus ou moins officiels des organisateurs des partys d’intégration ont demandé aux participants de la veille de supprimer toutes les vidéos et photos qui pourraient avoir été prises, entre autres : d’un gars qui l’échappe solide et se dénude, ou d’une jeune femme partie en ambulance à cause d’un coma éthylique.

Des choses qui arrivent, on se dit. Il nous est tous arrivé de trop beurrer nos toasts. Mais demander de faire disparaître les traces à toute la communauté ?

Peut-être est-ce ainsi que l’on crée un sentiment d’appartenance ? En tordant un peu la réalité pour qu’elle entre dans une forme rêvée. Toujours un peu en marge, semble-t-il. On se dit pourtant plus éveillé.

Puis un vendredi, il y a quelques semaines, un appel au boycottage de Meta dans la boîte courriel. Le café est passé de travers. Sérieux, j’ai dit à voix haute ? Le monde est rendu fou. On comprend l’histoire de la loi C-18 et le droit à l’information. On comprend aussi les enjeux pour les dévots qui croient que l’information est un droit aussi fondamental que l’eau (historiquement, ça ne fait qu’un siècle et demi que l’on s’informe, sur une patente de plusieurs millénaires, mais bon, c’est comme les voitures, on a construit le monde et l’économie un peu autour d’elles).

Un manque de lucidité ? On explique notre réalité par des signes de piasses depuis quelques décennies. Il n’y a rien de vraiment inquiétant dans cette situation ; au plus fort la poche, et c’est ainsi qu’une grande partie de l’Histoire s’écrit. C’est le système que l’on embrasse. Ça fera mal à qui de boycotter Facebook ou Instagram une journée sur 365 ? Meta s’en contrefout, et ça ne se reflétera pas dans le rapport annuel envoyé aux investisseurs. Si ça se rend, ce sera pour faire semblant d’être parfait, comme dans ces histoires d’initiations. On fera dire ce qu’on veut aux faits.

On entend beaucoup parler d’intelligence artificielle ces derniers mois, peut-être faudrait-il commencer à parler d’intelligence superficielle ?

Devant le bol de croquettes, mon chien n’est pas si différent de nos comportements devant les réseaux sociaux. Ils font désormais partie de la survie. Au même titre que l’eau. Ou l’idée que les chars électriques et les batteries vont sauver la planète et nos consciences. Au même titre que l’essence à 2 $ le litre, dans cette idée de liberté conditionnée, fait saliver en croyant que l’avenir sera radieux et rempli de promesses pour la route à venir et parce que ça « coche » l’air du temps.

La « cancellation » systémique, celle appliquée par les étudiants en intégration, fait partie de ce beau grand poème : se donner bonne conscience, le temps que le malaise s’estompe. Cette génération n’est pas différente des précédentes, n’en déplaise à la bienveillance ambiante.

Le boycottage de la Russie n’a pas mis fin à la guerre. Imaginez s’attaquer aux libertés individuelles des réseaux sociaux et de ceux qui les utilisent... Je n’ai pas le cœur de faire attendre mon chien lorsqu’il salive. Jour après jour, la même chose dans l’écuelle, et il continue d’en redemander, avec les mêmes réactions.

N’ai jamais utilisé les réseaux sociaux depuis leur création. Jamais été une seule fraction de seconde sur Facebook, Insta, Snap et autres. Mis à part quelques TikTok avec mes filles (je souris, ici). Suis toujours vivant, et aucune bave ne coule devant le besoin d’exister par là. On ne parle pas ici d’un réflexe réactionnaire, mais d’un constat ; peu importe la technologie ou les valeurs contemporaines qui en apparence semblent plus éveillées, plus ça change, plus c’est pareil.

Cela étant dit, l’automne est pas pire à date et pas besoin d’en faire un post. Après ce sera l’hiver, et ensuite le printemps. Ça va prendre une pelle et une tuque.

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