L’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde.

D’immenses « batchs » de sauce tomate et légumes se succèdent dans une chaleur suffocante. Ça sent bon. C’est le temps de l’année où tout ce qui est mûr se retrouve « canné » pour l’automne et l’hiver.

Les premières feuilles sont tombées. D’autres jaunissent prématurément à cause des pluies abondantes (et les carences que ça cause) comme celles des plants de maïs, de soya ou encore celles des têtes de vignes. Une souffleuse aussi, à vendre, sur le bord d’un chemin de campagne. Puis cette chaleur qui, espérons-le, comme un rallye de dernière minute pourra réchapper les défauts des deux derniers mois.

L’été n’était pas terminé, semble-t-il. Et difficile retour à la réalité, tel un choc thermique ; il faisait 12 degrés Celsius dans le golfe de l’Alaska cette semaine.

Une heure après le départ, lors du retour, le pilote a dit :

« Sur votre droite, en bas, on voit des incendies de forêt. »

En réalité, c’était des deux côtés de l’avion. Nord du BC, comme on dit. À 45 000 pieds d’altitude, on voyait très bien les gigantesques panaches de fumée au sol. Ah oui, j’ai pensé, la réalité est parfois un élastique qui reprend sa forme.

Note à tous : pour la culpabilité et la condamnation sociale qui flottent aussi dans l’air sur notre empreinte, je plante en masse d’arbres dans une année, pour à tout le moins faire semblant de respecter la carboneutralité d’une vie loin d’être exemplaire.

C’est ailleurs que la réalité frappe ; dans l’exercice nécessaire de s’informer et d’être un bon citoyen. Car les actualités, pendant cinq jours, ne se rendaient pas – par choix – au milieu de l’océan. Comme ces enfants qui font disparaître le monde en se cachant les yeux.

À partir des feux donc, rattrapé par une avalanche d’actualités sur l’itinérance qui explose, sur les failles sociétales, sur la guerre, l’éducation, le recul des droits des Afghanes (et des femmes partout sur la planète), sur Pierre Poilievre, encore l’inflation ou les milliards d’échecs d’un monde qui brûle. Tab…, ai-je dit à voix haute en renouant avec le présent. Est-ce qu’on va se rendre aux Fêtes ? Mère Noël, je veux une clim et des conditions de vie heureuses pour tous les humains. N’est-ce pas là, par ailleurs, la base de ce que l’on est, comme déclaré par l’ONU (et ses déconnectés de la réalité) ? Naître égal, bin oui. Une clim pour tous, donc, dans nos priorités. Et des toilettes universelles, tant qu’à y être.

Un petit aéroport sur une île du Pacifique Nord. Dix chaises. Deux portes. Men/Lihlaanga et Women/Jaadaa. Sur un quai de mer, quelques jours plus tard, j’ai posé la question à un jeune homme de la nation Haida.

« Est-ce qu’il y a un débat ici sur le non-genré ? »

Sa réponse (traduite), et en retirant les mots hell et fuck :

« Non, la vie est ailleurs. On n’a pas ce luxe ici. »

J’adore les guides de chasse et pêche, car ils habitent et occupent un territoire. Il est rassurant de les écouter sur la survie. Le jeune homme pesait et mesurait les prises ramenées par les pêcheurs dans la journée. Pour en faire un constat, triste, on soupçonne.

« On est davantage préoccupés par la petite taille des poissons et leur nombre décroissant que par les histoires des gens de la ville. Et devine où va le poisson qu’on pêche ici dans le Golfe ?

— Dans les grandes villes ?

— Non, dans l’anonymat. »

Et un peu dans les actualités ici et là, et dans cette odeur persistante de fin du monde qui nous entoure depuis quelques années.

Les plants de concombres ont séché. Les citrouilles sont apparues à travers un feuillage éclairci. Le blé d’Inde tire à sa fin et les oignons sortent de terre. Les pommiers sont lourds et chargés. L’été courbe l’échine. On avance, obligés. Chacun dans son territoire sous le même ciel et la même lune. Un peu inquiets.

Entre-temps, ça sent les tomates qui cuisent. Y aura ça d’arraché aux apocalypses quotidiennes.