La question que tout le monde se posait, vendredi, quand le président Joe Biden a quitté Ottawa, était : « Qu’est-ce que le Canada a donné en échange de la fermeture du chemin Roxham ? » Permettez que je soumette une réponse : rien. Ou presque.

Le Canada a accepté d’accueillir 15 000 réfugiés de plus par année en provenance des Amériques, ce qui n’est vraiment pas la mer à boire quand on pense que, selon le dernier recensement, il en a accueilli plus de 218 000 entre 2016 et 2021.

Mais pour le gouvernement fédéral, c’est une épine qu’on lui a retirée du pied. On notera au passage que le gouvernement Trudeau n’a commencé sérieusement à essayer de trouver une solution à la question du chemin Roxham que lorsque la question s’est canadianisée.

On caricature à peine en disant que c’est devenu un problème pressant quand le maire de Niagara Falls a dit craindre pour sa saison touristique si des réfugiés de Roxham continuaient trop longtemps d’occuper des chambres d’hôtel. Quand Québec se plaignait, c’était moins urgent…

Mais revenons à la question : pourquoi le président Biden aurait-il fait ce cadeau à Justin Trudeau ? Essentiellement parce que cela ne lui coûtait rien. Même si quelques républicains voudraient politiser la question de la frontière nord des États-Unis, il n’y a pas de véritable problème d’immigration illégale du nord vers le sud.

Bien sûr, cela a pris du temps parce qu’il fallait régler toutes sortes de modalités. Mais le principal ingrédient reste la volonté politique. Et ce qui a été clair pendant cette courte visite officielle du président Biden, c’est qu’il est venu célébrer les bonnes relations entre deux pays amis.

Et sans demandes précises. Ainsi, même si, ces derniers mois, l’administration américaine avait demandé au Canada de prendre la tête d’une mission internationale en Haïti, M. Biden s’est rendu aux arguments du Canada plaidant qu’une telle mission serait bien inutile tant qu’Haïti n’aurait pas retrouvé un minimum d’autorité gouvernementale – à commencer par la refondation d’une police nationale.

Il faut dire que la guerre en Ukraine a démontré, aux yeux de Washington, que le Canada était un bon allié, dans la mesure de ses moyens. Les envois d’équipement militaire à l’Ukraine et les 700 militaires canadiens en Lettonie (sur une force multinationale de 1300 soldats) dans une mission de dissuasion de l’OTAN sont perçus comme une contribution significative.

Bref, le président Biden repart avec un gentleman’s agreement, ou, comme on dit dans le sport, avec des « considérations futures » de la part du Canada.

Cela dit, rien ne garantit que la fermeture de cette anomalie qu’était le chemin Roxham constitue une solution permanente au problème de l’immigration irrégulière.

Les groupes d’aide aux réfugiés le disent depuis des mois : fermer le chemin Roxham ne règle rien en soi. Il est inévitable que d’autres passages soient trouvés dans une frontière de 9000 kilomètres. On n’y retrouvera pas la relative sécurité et les infrastructures d’accueil qui avaient fini par être installées sur le chemin Roxham. Mais il est certain qu’on va encore essayer de passer la frontière en évitant les points d’entrée officiels.

Pour ne parler que du Québec, quiconque connaît la région de la frontière dans les Cantons-de-l’Est sait qu’il n’est pas particulièrement difficile de la franchir. Surtout si des réseaux de passeurs ressuscitent et s’y mettent.

C’est pour cela que le gouvernement du Québec se réjouit un peu trop vite de sa grande victoire. Surtout qu’il dit en même temps qu’il appartient au fédéral de s’occuper de la frontière. Ça fait un peu « pas dans ma cour ».

À la fin, ceux qui réussiront à entrer au Canada – même si c’est en plus petit nombre – continueront d’avoir besoin des services du gouvernement et des groupes communautaires québécois. Ce qui ne dédouane évidemment pas le gouvernement fédéral d’avoir pris ce dossier à la légère pendant beaucoup trop longtemps.

Enfin, il y a un joker dans le dossier. La Cour suprême du Canada doit rendre jugement dans les prochains mois sur une contestation de la légalité de l’Entente sur les tiers pays sûrs menée par le Conseil canadien pour les réfugiés et d’autres organismes.

Un juge de la Cour fédérale avait statué en 2017 que l’Entente violait la Charte canadienne des droits et libertés, mais la Cour d’appel fédérale a infirmé cette décision en 2021. Il est toujours risqué d’essayer de prédire ce que fera la Cour suprême. Mais la plupart des observateurs croient que l’Entente des tiers pays sûrs survivra à cette contestation. Cela dit, on ne sait jamais.

Mais même si l’Entente devait être confirmée, il est clair que le Canada va demeurer, comme il en a la réputation depuis un demi-siècle, l’un des pays du monde les plus ouverts aux réfugiés et qu’ils ne vont pas cesser d’essayer d’y entrer. Par voie régulière ou pas.