Auteur du livre Une histoire du chemin Roxham – Je n’ai pas choisi de partir, Lovejoyce Amavi revient sur son parcours au moment où le passage emprunté par des milliers de réfugiés depuis 2017 vient d’être fermé.

Dans ma tête parfois, c’est comme hier. Je suis à la gare de Baltimore, je prends l’autobus pour New York, puis j’arrive à Plattsburgh. Là, avec d’autres passagers nous cherchons un taxi pour nous rendre au point d’entrée irrégulier dont nous avons entendu parler et que nous avons décidé d’emprunter. L’objectif : trouver dans notre exil un refuge au Canada, où nous poser et tenter de nous reconstruire. Je n’étais pas seul ce jour d’août 2017, plusieurs autres personnes ont mis, comme moi, leur confiance dans ce passage et ont fait le pari de trouver au bout de cette aventure un espace de vie plus clément que ceux que nous avions quittés, un peu partout dans le monde.

Le chemin Roxham caractérise nos histoires de vie et nos histoires d’immigration. La multiplication des critiques et des réactions indélicates qu’il a récemment provoquées a un peu mis nos vies à l’index, pour une faute que nous n’avons pas commise. Il n’y a rien d’illégal à se livrer soi-même à la police… Pourtant, c’est souvent comme ceci qu’on parle de nous : « immigrants illégaux, qui ont abusé du système pour passer devant les gens qui attendent depuis plus longtemps ». C’est un déni de la situation d’urgence qui nous a contraints à entreprendre le périple vers le chemin Roxham dans des conditions difficiles : un camp de fortune, des nuits au clair de lune, des jours sans se laver, coincés dans l’incertitude et l’impatience.

T’en souviens-tu ?

Je parle désormais souvent de mon histoire du chemin Roxham, à la faveur de la publication de mon livre l’automne dernier. Spencer, mon ami et collègue de traversée, m’a écrit dernièrement pour me dire qu’il était de retour de Sept-Îles pour voir sa femme et ses enfants à Montréal. J’ai couru pour le voir et lui remettre un exemplaire du livre.

On s’est remémoré notre arrivée en le lisant. Il a souri et hoché la tête au souvenir de ces instants que décrivaient les pages qu’il parcourait. Arrivé au paragraphe qui le mentionnait, il a décidé de lire à haute voix pour sa femme. Les larmes ont afflué dans ses yeux, dans ceux de sa femme et bien sûr, par contagion, dans les miens aussi.

Nos trajectoires n’ont pas été les mêmes, il s’est construit une nouvelle famille, a eu un bébé, est parti travailler à Sept-Îles, a visité plein d’autres endroits du Canada. Informaticien, il s’est reconverti dans d’autres métiers tout en se formant davantage en informatique et en travaillant de la maison. Quelques larmes essuyées et deux reniflements plus tard, il m’a dit :

« Merci, Lovejoyce, de raconter tout ceci et de nous représenter, tous mes encouragements et mes félicitations pour ton livre, vraiment merci !

— Mais non, tu vois bien que ce livre parle de nous tous, ai-je répondu. C’est un voyage que nous avons fait ensemble, toi et moi, et maintenant nos vies sont ici et liées pour toujours, mon ami. »

Un milieu communautaire réceptif

Au bout du chemin Roxham se trouvent plusieurs organismes communautaires qui accueillent et assistent les nouveaux arrivants. C’est chez eux que beaucoup trouvent une oreille attentive et réceptive, ce qui peut être déterminant dans l’imbroglio des procédures de l’immigration.

J’ai parlé avec la directrice générale du Carrefour le Moutier⁠1, Héléna Roulet. L’implication de son organisme et le dynamisme du milieu communautaire de la Rive-Sud sont manifestes.

« Le Carrefour le Moutier est un organisme communautaire de première ligne sur la Rive-Sud, qui accueille, écoute et outille toute personne qui vit un moment difficile ou une période de transition afin de retrouver son pouvoir d’agir. Les personnes qui arrivent ici ne sont qu’à une étape de leur parcours encore inachevé. À terme, elles espèrent pouvoir contribuer de façon pleine et entière à leur nouvelle société. Nous contribuons, avec d’autres acteurs, à la mobilisation du milieu afin de mettre en commun nos ressources respectives pour créer un filet social auprès de ces personnes. D’ailleurs, nous pouvons toutes et tous être, à notre façon, un maillon de ce filet social de sécurité pour ces personnes », m’a-t-elle dit.

Quand je suis arrivé ici, la bienveillance de ces milieux communautaires m’a convaincu de donner à mon tour du « jus de coudes » dès que j’ai pu. Redonner au Québec ce que j’y ai trouvé : de la disponibilité. Ce faisant, je suis allé à la rencontre des gens et je me suis impliqué dans la gestion des vulnérabilités que j’ai découvertes.

J’ai connu le Québec à travers des gens soucieux de la faiblesse et du besoin d’aide de leurs semblables. J’ai connu des gens par des conversations qui m’ont aussi permis de me laisser connaître. J’en conclus aujourd’hui que le bénévolat est un ferment pour l’intégration. Au point où chaque nouvel arrivant devrait y consacrer du temps. On construit grâce à l’implication bénévole une paix sociale plus vraie que celle scandée dans les discours publics, et qu’on tarde à voir dans les faits.

Passer le relais

Le chemin Roxham est désormais fermé, dans la foulée d’une entente entre le Canada et les États-Unis. Beaucoup de vies sont déjà passées par là, dont la mienne, en 2017. J’ai parlé avec Faustin, qui est arrivé pour sa part en août 2022 ; cinq ans après moi. Son parcours a été bien plus long et semé d’épreuves. Après avoir quitté le Brésil en 2021, l’homme d’origine haïtienne a réussi avec sa conjointe à échapper aux passeurs. Ils ont traversé par leurs propres moyens près de 10 pays avant d’arriver au Canada il y a tout juste sept mois.

Pendant ce trajet à l’issue incertaine, sa conjointe est tombée enceinte de leur fille, née à Longueuil le 20 février dernier. Tous deux sont toujours en attente de leurs permis de travail et survivent grâce à l’aide sociale. C’est une situation d’attente difficile, qui accentue leur vulnérabilité. Mais ils s’accrochent tant bien que mal à l’espoir d’un dénouement rapide, avec l’aide des différentes ressources mises à leur disposition. C’est psychologiquement difficile, m’a raconté Faustin. « J’ai besoin de travailler pour prendre soin de ma famille. Je ne comprends plus rien, certains arrivés bien après nous ont déjà eu leur permis de travail, pourtant », a-t-il lâché.

Pour le rassurer, j’ai dû évoquer les débordements chez les fonctionnaires, avec la crise des passeports et l’affectation de dossiers à des employés parfois en congé ou qui avaient changé d’emploi⁠2. Ce qui ne justifie rien…

Faustin fait à l’occasion du bénévolat au Carrefour le Moutier, à Longueuil, où il reçoit aussi un accompagnement dans ses démarches.

On s’est raconté nos vies et je lui ai dit comment avoir fait du bénévolat a été non seulement utile pour rencontrer les gens et connaître la société québécoise, mais également pour oublier tout le stress lié aux défis d’immigration et à l’attente du permis de travail. De plus, le bénévolat est très utile pour commencer à construire une expérience de travail canadienne. On s’est quittés en se promettant de se reparler.

Des histoires sans histoire

Ce qui s’est dit au sujet du chemin Roxham a souvent été trompeur. Comme d’évoquer les près de 40 000 arrivants de 2022 sans mentionner qu’en 2020 et 2021, seulement 7000 sont passés par là en raison de la pandémie. Le chiffre de 2022 a été selon moi gonflé par le rattrapage. Parler d’immigration illégale est tout aussi inapproprié, car tous les nouveaux arrivants se sont systématiquement rendus aux agents de la Gendarmerie royale du Canada.

Le chemin Roxham est désormais fermé. Le Canada a toutefois accepté d’accueillir 15 000 réfugiés de plus par an, ce qui correspond sensiblement au nombre annuel d’entrées par le chemin Roxham depuis 2017. Dès aujourd’hui, il faut dépassionner le débat et mettre en œuvre des solutions d’encadrement pour tous ceux qui ont emprunté cette voie de passage. Et ceux que le Canada continuera d’accueillir⁠3.

Le chemin Roxham et l’accueil des réfugiés, c’est d’abord l’histoire de milliers de vies, pas seulement une façon d’arriver au Canada. Comme je l’ai écrit dans mon livre sur le chemin Roxham, Je n’ai pas choisi de partir : « Tout ce que nous demandons, c’est une chance de nous faire ici et une chance de faire partie d’ici. »

Ce n’est pas trop demander.

Qui est Lovejoyce Amavi ?

  • Il a fait carrière en communications au Togo, où il est né dans les années 1980.
  • Après avoir refusé un mandat politique, il a dû quitter le pays d’Afrique de l’Ouest.
  • Il est arrivé au Québec par le chemin Roxham en 2017.
  • Il a publié Une histoire du chemin Roxham – Je n’ai pas choisi de partir, à l’automne 2022.
Une histoire du chemin Roxham – Je n’ai pas choisi de partir

Une histoire du chemin Roxham – Je n’ai pas choisi de partir

À compte d’auteur

106 pages

1. Consultez le site du Carrefour le Moutier 2. Lisez l’article « Crise des passeports : jusqu’à deux fois moins d’employés en 2022 » 3. Consultez le blogue de Lovejoyce Amavi Qu’en pensez-vous ? Exprimez votre opinion