L’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde

La patinoire extérieure au village est prête. L’hiver a tardé à se planter les pieds, mais voilà qui est fait, et bien fait : fait frette en ta... Je joue au hockey avec les enfants (dont un des miens) du village.

On soupe vite fait, et hop au centre récréatif. On fait les équipes en mélangeant les bâtons au centre de la glace et un jeune, les yeux fermés, les lance d’un bord et de l’autre en alternant. On rejoint nos bâtons et c’est ça qui est ça. Parfois les forces sont inégales (certains jouent deux lettres et sont très forts, dont une fille qui clanche ben des gars), alors on influence un peu le hasard en faisant parfois un échange. Mais c’est rare.

Toujours est-il qu’en rentrant de la « game » un soir cette semaine, il y a une fourche oubliée dans le potager enneigé. Gelée raide. Impossible à sortir, soudée au sol jusqu’au noyau terrestre. Comme dans Merlin et l’épée magique. Magie dont on aurait d’ailleurs bien besoin par les temps qui courent. Tenez bien la rampe pour la suite, ça va brasser un peu.

De mémoire, ça fait 30 ans qu’on raconte, telle une prophétie, qu’on va régler les problèmes du système de santé. L’inflation est une hormone dont on a peur, les taux d’intérêt, une chimère, la mobilité à Montréal, une aberration (autant pour les voitures que pour le transport collectif, ou pour sa lenteur d’une part et sa vitesse mortelle ailleurs). Le système de justice est un épouvantail qui ne fait pas peur, le coût de la vie est à chier, le REM n’a pas encore transporté un seul passager que l’étoile de la Caisse de dépôt est en voie de s’éteindre, les classes débordent et on rajoute du monde, les étudiants ne savant plus parler français, à la radio généraliste en direct, non plus, le français n’est pas toujours heureux (pour certains, ça parle comme ça pense), TOUS les ministres de l’Éducation vont supposément régler le problème de l’éducation, y a trop de chars, pas assez d’immigrants, trop d’immigrants, tout le monde fait de l’anxiété puissance mille, les autres font de l’angoisse et ceux qui peuvent guérir ces maux sont épuisés. Trop d’antidépresseurs. Trop de TDAH. Cole Caufield est blessé. Il y a de la neige dans les rues (crime, c’est l’hiver !). Les vidanges toutes les deux semaines vont pourrir l’univers et les rats vont manger les rues et former un nouveau parti politique. Le réchauffement climatique, encore lui, fait des siennes. Le manque d’argent et de volonté...

Il ne restait plus que la bouésson pour fuir un peu ce monde de marde et voilà qu’on rajoute un vernis à la culpabilité de l’ivresse. On passe trop de temps devant nos écrans. La culture, le patrimoine et le passé sont au diable vert. Tous les élus en poste vont solutionner tous les problèmes de société et les autres, dans l’antichambre des promesses, seront critiques dans l’attente de faire pareil. Come on, les chums.

Je souris ici. Les messagers sont paniqués. Dans les faits, au quotidien, il me semble que ça ne reflète pas l’état des lieux. Il semble y avoir une distorsion dans la correspondance des nouvelles, des infos et des débats sociaux.

Il y a aussi des gens qui sourient et se moquent du relai alarmiste des actualités, comme ces personnes euphoriques après une victoire du CH et dépressives dans la défaite. Heureusement. Sinon, il faudrait sérieusement se poser quelques questions sur notre moral. Au constat qu’on semble en faire, existe-t-il des raisons de continuer ? De se réjouir ici et là comme un flocon niais dans une tempête ? Pour paraphraser une amie russe : une cuillère de gaz ruinera un baril de sirop, et une cuillère de sirop ne fera rien au baril de gaz.

Ça s’appelle le biais de négativité. Et parfois ça permet une meilleure adaptation à l’environnement. Notre cerveau privilégie naturellement la menace au bonheur au reste de nos vies. Le ratio, apprend-on des études, c’est : cinq belles patentes se feront annuler par une seule mauvaise. On préfère les défauts des gens à leurs qualités. Et les médias, et autres réseaux, ont trop bien compris l’équation et les besoins d’attention et d’audimat à la base de leur profit. L’écrapout et le malheur paient davantage, en nombre. Mais voilà que ça finit par éreinter. À force de porter de mauvaises nouvelles, dans cette forme, on parviendra plus tôt que tard à ce que tout aille encore plus mal pour vrai. De ce fait, on exagère les menaces et on sous-estime les opportunités. Dans une situation de survie, telle une guerre, une famine ou un danger imminent, ça peut aider. Dans nos existences contemporaines, c’est un frein au bonheur. On peut certainement faire mieux. Changer de poste ou se couper des messagers.

On dit que manger une énorme quantité de crêpes à la Chandeleur serait un gage d’abondance pour l’année à venir. Suis prêt pour la magie. La forme des crêpes est censée rappeler le soleil et la lumière, qui font un retour. Le 2 février vient de passer, aujourd’hui c’est dimanche et c’est le vrai jour des crêpes. Aux crêpes, citoyens ! Perso, je préfère les pancakes parce qu’elles imbibent davantage de sirop d’érable. Jusqu’à flotter dans le sirop, comme un immense doigt d’honneur à l’ambiance générale de morosité.

Parfois aussi, quand on revient de la patinoire, on écoute Les amateurs de sports, et même si on a perdu, on sourit. Et ce printemps, la fourche sortira dès que j’aurai besoin d’elle.

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