C’est la locution latine que Bernard Landry a remise à la mode dans le film documentaire À hauteur d’homme qui relate sa campagne électorale de 2003. M. Landry avait été piégé au débat des chefs par une citation de Jacques Parizeau sur un futur référendum.

Incapable de le joindre et ne voulant pas commenter l’affaire avant de l’avoir fait, l’avocat qu’était Landry avait répliqué : « Audi alteram partem ». En droit, cela veut dire qu’on ne peut juger si on n’a pas entendu les deux parties.

Cette semaine, on a eu de beaux exemples de ce qu’il faudrait faire et ne pas faire quand vient le temps pour nos députés de se prononcer sur les propos d’une personne.

Dans ce qui est convenu d’appeler l’affaire Amira Elghawaby, on a vu le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, attendre avant de dire si Mme Elghawaby serait une candidate acceptable pour le poste de représentante spéciale du gouvernement canadien sur la lutte contre l’islamophobie.

Depuis sa nomination, on a retrouvé plusieurs articles et publications sur les réseaux sociaux qui accusaient, entre autres, la majorité des Québécois d’avoir des sentiments antimusulmans.

M. Blanchet a soutenu sur les ondes de Radio-Canada que, pour lui, « il n’y avait pas de manière correcte de gérer ça sans, au moins, lui avoir donné l’occasion de s’expliquer » et donc d’organiser une rencontre.

Une fois les explications entendues, le lendemain, il a décidé qu’elles ne lui étaient pas acceptables vu le poste qu’elle occuperait. Ce n’est pas surprenant, vu l’option politique de M. Blanchet, mais tout cela s’est fait dans les formes.

Autre exemple d’une bonne façon de faire : la nomination du premier commissaire à la langue française. Le gouvernement avait proposé Benoit Dubreuil, mais Québec solidaire avait des réserves en raison d’un livre sur l’immigration cosigné par celui-ci.

À la suggestion du gouvernement, MM. Dubreuil et Nadeau-Dubois se sont rencontrés : « On ressort de cette rencontre-là avec l’impression que c’est un homme compétent qui est capable d’occuper ces fonctions. »

« C’est la preuve que rencontrer les gens avant de fixer son jugement sur la personne, parfois, souvent, ça nous permet d’avancer », a dit M. Nadeau-Dubois en expliquant que son parti votera pour la nomination de M. Dubreuil.

La chose à ne pas faire maintenant : malheureusement, c’est précisément ce qu’a fait l’Assemblée nationale, cette semaine. Une motion proposée par la CAQ, les libéraux et le PQ (QS avait décidé de s’abstenir) disait « que l’Assemblée nationale prenne acte des propos inacceptables tenus par le passé par madame Elghawaby concernant les Québécois et l’islamophobie et dénonce ces propos... ».

Pas le temps de la laisser s’expliquer, la cause était entendue et elle devait donc, sur-le-champ, être condamnée par l’Assemblée nationale.

Cela cause un certain malaise. D’abord parce que le rôle premier de l’Assemblée nationale est d’adopter des lois, pas de condamner les propos des citoyens, surtout pas sans avoir pris le temps d’entendre leurs explications ou leurs excuses.

C’est d’autant plus triste que l’Assemblée nationale a déjà joué dans ce film. C’est devenu ce qu’on a appelé « l’affaire Michaud ». Yves Michaud, un militant souverainiste bien connu, avait été blâmé par l’Assemblée nationale pour une déclaration que certains avaient assimilée à de l’antisémitisme.

Plusieurs députés ont, par la suite, regretté leur vote et même désavoué la motion. Mais il était trop tard et, malgré tous ses efforts, M. Michaud n’a jamais eu droit aux excuses qu’il demandait.

Mais ce qu’il faut retenir, c’est que l’Assemblée nationale n’est pas un tribunal et qu’on ne devrait pas demander aux députés de réagir au quart de tour pour dénoncer chaque propos qui peut sembler outrancier ou injustifié à propos du Québec.

Parce que si l’Assemblée nationale joue trop souvent au tribunal, on finira par exiger qu’elle se donne une sorte de mécanisme d’appel.

Et pourquoi pas une commission parlementaire chargée d’entendre les mécontents ? Il ne manquerait pas de gens qui veulent de la publicité ou de la visibilité et qui seraient ravis d’être blâmés par l’Assemblée nationale si ça devait leur donner une tribune et quelques instants sous les projecteurs !

Alors, gardons l’Audi alteram partem comme bonne pratique pour que les députés entendent le plus de points de vue possible et se prononcent en toute connaissance de cause, mais évitons de détourner l’institution qu’est l’Assemblée nationale de ses responsabilités premières.

En terminant, bref retour sur l’affaire Elghawaby. Rien de tout cela ne se serait passé si le bureau du premier ministre à Ottawa avait fait ses devoirs de vérification. Une simple recherche sur Google aurait permis de prendre connaissance des propos de Mme Elghawaby et de réaliser qu’ils allaient braquer tant de gens qu’elle ne pourrait pas accomplir la tâche que lui confiait le gouvernement.

Il y a des jours où on dirait qu’à Ottawa, on n’est plus capable d’exécuter les responsabilités d’un gouvernement. Que ce soit livrer un passeport ou faire les vérifications normales avant de nommer quelqu’un.