« Ça fait changement des scrums ! », laisse tomber Mathieu Lacombe, au moment où je ferme mon enregistreuse. Le ministre de la Culture et des Communications du Québec fait allusion aux frénétiques mêlées de presse des corridors de l’Assemblée nationale, au cours desquelles les élus ont quelques secondes pour « faire sortir » les deux ou trois clips qui tourneront en boucle sur les ondes des chaînes d’information en continu.

Cette fois, c’est différent. Mathieu Lacombe m’a donné rendez-vous dans un café ensoleillé de Repentigny, une bonne heure avant la fin de l’entraînement de hockey de ses deux fils. Ce n’est certes pas aussi stressant qu’un scrum, mais pour le ministre, l’exercice n’en est pas moins périlleux : une heure à jaser avec une journaliste autour d’un latté, ça veut dire beaucoup, beaucoup de clips qui peuvent revenir lui exploser à la figure…

Mathieu Lacombe en est parfaitement conscient. Il réfléchit avant de parler, soupèse chaque mot et précède plusieurs de ses réponses par : « C’est délicat. » Je n’aurai pas droit aux envolées enflammées d’un artiste ou d’un militant. Mathieu Lacombe, comme tout ministre qui se respecte, marche sur des œufs — quitte à se faire reprocher sa langue de bois. Et ça, c’est la faute des adversaires politiques, qui n’en laissent pas passer une, mais aussi celle des journalistes, qui ont parfois tendance à monter des histoires en épingle.

C’est d’ailleurs là-dessus que j’ai voulu entendre le ministre. Sur la méfiance du public envers les journalistes, au moment où les entreprises de presse luttent carrément pour leur survie. Selon un récent sondage Léger, 42 % des Québécois ont peu ou n’ont pas confiance dans les médias. C’est plus qu’inquiétant. Pour le métier, mais aussi pour la santé démocratique du Québec.

Lui-même ancien journaliste, Mathieu Lacombe a osé aborder le sujet dans un discours au congrès annuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, à la mi-novembre. Son entourage avait pourtant essayé de l’en dissuader. « On m’a dit : “ Ce n’est peut-être pas une bonne idée, tu vas te mettre des médias à dos, les journalistes vont t’en vouloir… ” »

Il l’a fait quand même. Devant un parterre d’une centaine de journalistes, Mathieu Lacombe a appelé ses anciens confrères à plus d’autocritique. Et ça n’a pas très bien passé.

Mais le ministre persiste et signe : « Il ne faut pas, comme l’ont fait certains journalistes après ma sortie, balayer ça du revers de la main, en disant que [la perte de confiance] est essentiellement liée à une crise des institutions et que si on explique mieux aux gens ce que font les journalistes, ça va régler le problème. Si on fait ça, le problème va continuer à se creuser. »

Et plus le problème se creuse, plus les médias risquent de creuser leur propre tombe, prévient-il. « Notre gouvernement pense que c’est important de soutenir les médias. Mais on voit un mouvement, partout sur la planète, vers des gouvernements beaucoup plus à droite, en même temps qu’on voit baisser les indicateurs de confiance envers les médias. Où serons-nous dans 10 ans ? Que fera-t-on si, au Québec, le parti au pouvoir ne croit pas du tout nécessaire, lui, d’aider les médias ? Ça va être dramatique. Il va pouvoir couper les vivres aux médias, en se disant que personne ne va lui en tenir rigueur, même que cette décision-là va être populaire ! Il faut à tout prix éviter d’en arriver là. Il faut régler le problème maintenant. »

Je fais valoir au ministre que des politiciens populistes travaillent eux-mêmes très fort pour miner la confiance du public envers les médias. La recette Trump, qui fait passer les journalistes pour les ennemis du peuple, a été adaptée partout dans le monde. Au Canada, je pense à Pierre Poilievre, qui n’hésite pas à intimider les journalistes et à les accuser — faussement — de désinformation.

Mathieu Lacombe admet que cette tendance l’inquiète, lui aussi.

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Mathieu Lacombe a été lui-même journaliste avant de se tourner vers la politique.

Mais je ne peux pas m’empêcher de comprendre, parfois, pourquoi ces politiciens deviennent aussi virulents envers les médias. C’est vrai qu’ils sont très durement traités, rapidement étiquetés, et qu’ils se font littéralement toujours poser les mêmes questions…

Mathieu Lacombe

Éric Duhaime, un adversaire politique à qui Mathieu Lacombe « ne souhaite pas particulièrement de succès électoral », reçoit par exemple un traitement médiatique sévère qui alimente son attitude défensive envers les médias, estime-t-il. « Souvent, [la virulence envers les médias] vient de gens qui se font dépeindre comme des méchants alors qu’ils jugent, eux, avoir une position crédible. »

Depuis qu’il a fait le saut en politique, Mathieu Lacombe voit inévitablement le journalisme sous un autre angle. De l’autre côté de la clôture, où il se fait critiquer « tous les jours », il trouve que nous, membres des médias, avons décidément l’épiderme bien sensible.

Un politicien qui ose critiquer le travail d’un reporter se fera aussitôt reprocher de contribuer à l’effritement de la confiance envers les journalistes, dit-il. « L’inverse serait-il tout aussi vrai ? Alors que les politiciens souffrent d’un déficit de crédibilité et de confiance dans la population, faudrait-il qu’on arrête de nous critiquer parce que ça contribue [au problème] ? Poser la question, c’est y répondre : non. »

Mais alors ? Que fait-on pour rétablir la confiance du public envers les médias ?

« C’est une question délicate », souligne Mathieu Lacombe. Extrêmement délicate, j’oserais dire. Le ministre souhaite trouver le moyen d’élever les critères déontologiques de la profession. Une sorte de monnaie d’échange pour l’aide publique consentie aux entreprises de presse.

Reste à savoir comment s’y prendre… sans brimer la liberté de la presse.

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Mathieu Lacombe voit aujourd’hui le journalisme sous un autre angle.

Comme gouvernement, ce n’est pas à nous de dire aux médias quoi faire. Ce n’est pas à nous de nous mettre les deux mains dedans et ce n’est surtout pas à moi, comme ministre, de dire : vous êtes des bons, vous êtes des méchants…

Mathieu Lacombe

Pas question non plus pour Mathieu Lacombe de ressusciter l’idée d’un ordre professionnel des journalistes. Ce débat a été fait. Le ministre songe plutôt à donner plus de pouvoir au Conseil de presse du Québec, sorte de tribunal d’honneur qui traite les plaintes du public à l’égard du travail des journalistes. Pour l’heure, le CPQ émet des blâmes, mais c’est tout. Pas de sanctions, pas d’amendes, pas de suspensions pour les reporters fautifs.

Le ministre envisage notamment de mieux financer le CPQ, pour lui permettre d’avoir les reins plus solides. « Est-ce normal que le Conseil de presse soit pris au dépourvu quand il fait l’objet d’une poursuite, comme il l’a été avec Québecor, au point de se demander s’il allait survivre ? […] Est-ce que le Conseil va se mettre à être plus doux avec certains médias en se disant : “ On ne peut pas se permettre une autre poursuite, on n’a plus d’argent ? ” Moi, ça me préoccupe. »

En février, le CPQ a remporté le bras de fer juridique qui l’opposait aux médias de Québecor. Ces derniers s’étaient adressés aux tribunaux il y a plusieurs années pour empêcher le CPQ de traiter les plaintes du public les concernant, sous prétexte qu’ils n’étaient pas membres de l’organisme.

Un média devrait-il adhérer au CPQ, justement, pour avoir droit à l’aide publique ? « C’est délicat, répond — encore — Mathieu Lacombe. Je pense que c’est une question qu’on doit se poser. Est-ce normal que le citoyen se retrouve dans une situation où il soutient financièrement le média qui refuse d’être membre du Conseil de presse ? »

Le ministre évoque plusieurs autres scénarios. Le gouvernement pourrait obliger les médias à se doter d’un ombudsman en retour d’une aide financière. Ou alors, après un certain nombre de blâmes du CPQ, un média pourrait « perdre le financement public qui lui est consenti pour une période donnée, avec des mesures d’accompagnement pour être capable de le retrouver ».

Ça me semble impossible. La proposition risque en tout cas d’être fort mal accueillie dans le milieu journalistique, qui doit échapper à tout contrôle gouvernemental au nom d’un principe démocratique important : la liberté de la presse. Le CPQ lui-même, un organisme d’autorégulation jaloux de son indépendance, refusera probablement de jouer ce jeu-là.

D’une manière ou de l’autre, Mathieu Lacombe est résolu à soutenir de façon plus permanente les médias québécois, dont les revenus publicitaires ont été largement siphonnés par les géants du web. Résultat, des journaux régionaux ferment leurs portes. Des centaines d’employés des grands réseaux de télé perdent leur emploi. Ça ne peut plus continuer comme ça.

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Mathieu Lacombe a accordé une longue entrevue à notre chroniqueuse. « Ça fait changement des scrums ! », laisse tomber le ministre.

C’est un enjeu démocratique. Moi le premier, je ne suis pas toujours content des chroniques et des reportages, mais il reste que, de façon générale, c’est toujours bon d’avoir des gens qui nous poussent dans le dos pour que nous soyons plus imputables.

Mathieu Lacombe

Maintenant qu’Ottawa s’est entendu avec Google, le ministre espère qu’il pourra aussi s’entendre avec Facebook, qui continue de bloquer le contenu des nouvelles au Canada. Sinon, Québec pourrait créer un fonds pour les médias ou émettre des crédits d’impôt sur l’achat de publicité dans les médias traditionnels. Le ministre n’exclut rien. « Ce sont des idées qui méritent d’être mises sur la table. »

Mathieu Lacombe souhaite présenter un plan en 2024. Il y a urgence… mais il faut prendre le temps de réfléchir. Le dossier est un « gros sac de nœuds », dans lequel s’entremêlent la liberté de la presse, la confiance du public et le soutien de l’État. « Je sais que la moitié des gens va me dire : “ Vous êtes un gouvernement tyrannique ” et que l’autre moitié va me dire : “ Merci ”… »

L’entrevue se termine un peu plus tôt que prévu. Mathieu Lacombe part chercher ses fils à l’aréna, soulagé de n’avoir glissé sur aucune pelure de banane. Et heureux d’avoir eu le temps de discuter, pour une fois. « Ça fait changement des scrums ! »

Qui est Mathieu Lacombe ?

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Mathieu Lacombe souhaite présenter son plan pour les médias en 2024.

  • Né à Repentigny en 1988, il a été journaliste avant de faire le saut en politique, sous la bannière de la Coalition avenir Québec, en 2018. Il représente la circonscription de Papineau, en Outaouais. Il a d’abord été ministre de la Famille, avant de devenir ministre de la Culture et des Communications, en octobre 2022.
  • Titulaire d’un baccalauréat spécialisé en journalisme de l’Université d’Ottawa, il a travaillé dans des médias communautaires et des radios locales, puis à Radio-Canada, avant de devenir l’un des plus jeunes chefs d’antenne du Québec, à TVA Gatineau-Ottawa. Il a été président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, section de l’Outaouais. Il est père de deux enfants.