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Le Québec s’est fixé des cibles de réduction de GES pour 2030 et 2050, mais plusieurs articles relatent que nous pourrions les rater. J’essaie de comprendre comment c’est possible alors que la province a mis en place un système de plafonnement et d’échange qui couvre 80 % de nos émissions. Nos objectifs ne devraient-ils pas se refléter dans le nombre de permis d’émission accordés et donc nous « contraindre » à atteindre nos cibles ?

Alexandre Courchesne

En principe, Monsieur Courchesne, vous avez raison. Le marché du carbone devrait nous amener très près de nos cibles climatiques.

Or, ce n’est pas le cas.

Le Québec a promis de réduire ses émissions de 37,5 % en 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Aux dernières nouvelles, la réduction atteignait seulement 13,2 %. En plus, ce chiffre est basé sur l’année 2020, alors qu’une bonne partie de l’économie était paralysée par la pandémie. Il y a fort à parier que nos émissions ont déjà remonté depuis.

Le marché du carbone, qu’on appelle aussi « système de plafonnement et d’échange de droits d’émission », est un élément central de la stratégie climatique québécoise. Il oblige les émetteurs de GES assujettis à obtenir des droits d’émission pour relâcher des GES dans l’atmosphère.

Le marché fait graduellement diminuer ces droits au fil des ans – on dit que le « plafond baisse ». Moins de droits, ça devrait vouloir dire moins d’émissions.

Il y a toutefois plusieurs raisons pour lesquelles ce marché ne nous mène pas automatiquement vers nos cibles.

Alain Webster, expert en économie de l’environnement à l’Université de Sherbrooke, rappelle d’abord que le marché du carbone est commun entre le Québec et la Californie et que les réductions se font là où c’est le moins cher. En 2020, les entreprises québécoises ont acheté 11,4 millions de droits d’émission en Californie. C’est l’équivalent de 11,4 mégatonnes de CO2.

En clair, une partie des réductions ne se reflètent pas dans notre bilan parce qu’elles sont faites ailleurs. En décembre dernier, le gouvernement du Québec a publié un document qui affirme qu’en incluant les droits d’émission achetés en Californie par les entreprises québécoises, la province affiche une réduction de 26,6 % sous les niveaux de 1990 plutôt que de 13,2 % ⁠1.

Certains experts, dont Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal, mettent toutefois ces chiffres en doute. Ils contestent la thèse voulant que chaque droit d’émission correspond réellement à une réduction d’une tonne de CO2.

Pour le comprendre, il faut parler d’un deuxième aspect : le surplus de droits d’émission.

Lors des premières années du marché du carbone, les gouvernements ont fixé des plafonds très hauts et accordé beaucoup de droits d’émission aux entreprises assujetties.

Résultat : les entreprises ont mis des droits d’émission dans leurs poches. Aujourd’hui, les gouvernements restreignent les droits. En principe, les entreprises devraient manquer de droits, ce qui les forcerait à réduire leurs émissions. Mais elles ressortent plutôt leurs vieux droits pour couvrir leur pollution.

Une autre raison pour laquelle on ne peut se fier uniquement au marché du carbone pour atteindre nos cibles est que celui-ci ne couvre pas l’ensemble des émissions québécoises.

Les GES générés par l’agriculture et les déchets, notamment, y échappent.

Or, on ne demande pas aux secteurs couverts de fournir plus que leur part d’efforts pour compenser le fait que d’autres secteurs ne sont pas couverts. On leur demande de fournir leur part, point.

Cela laisse une proportion de nos émissions qui doivent être réduites par d’autres politiques que le marché du carbone. Québec prétend que le marché du carbone couvre 80 % des émissions québécoises, ce qui laisserait un trou de 20 %. L’expert Pierre-Olivier Pineau calcule plutôt que le marché couvre 72 % des émissions, laissant un trou de 28 %. Ça commence à être considérable.

Des questions entourent finalement les crédits dits « compensatoires ». Les entreprises assujetties peuvent remplir une partie de leurs obligations en achetant ces crédits générés dans des secteurs non couverts comme l’agriculture, la forêt ou la captation de gaz réfrigérants.

Ces crédits compensatoires sont associés à des réductions réelles… mais dans des secteurs qui doivent aussi réduire leurs émissions. « Si une tonne est réduite en agriculture et génère un crédit compensatoire qui permet à une tonne en transport d’être émise, on n’a pas, globalement, de réduction », illustre Pierre-Olivier Pineau.

Les crédits compensatoires diminuent aussi la demande pour les « vrais » droits d’émission, exacerbant les surplus.

La bonne nouvelle est que les gouvernements du Québec et de la Californie sont conscients des problèmes entourant le marché du carbone et ont annoncé leur intention d’en discuter cette année. Il ne reste qu’à espérer des actions rapides.

1. Lisez le rapport sur la cible de réduction de GES 2020