Les jours, plus récent documentaire de Geneviève Dulude-De Celles, raconte une année dans la vie de Marie-Philip, à partir du moment où elle reçoit un diagnostic de cancer du sein, à 28 ans. Dans le regard de la principale concernée, surtout, mais aussi devant l’objectif de la cinéaste, le film expose une réalité peu connue.

Au Rose Café, dans Villeray, Geneviève Dulude-De Celles et Marie-Philip nous donnent tout de suite l’impression d’être deux bonnes amies. Nous ne sommes pas en présence d’une documentariste et de son « sujet », mais face à deux femmes liées par quelque chose de plus grand.

L’une, Marie-Philip, a reçu il y a quelques années un diagnostic de cancer du sein, une semaine avant ses 29 ans. L’autre, Geneviève, a toujours vécu en sachant que le cancer du sein s’en prenait aux femmes de sa famille maternelle. Marie-Philip a vécu la maladie et tout ce qui vient avec. Geneviève a raconté son histoire.

La cinéaste, après son premier film de fiction, Une colonie, paru en 2019, prévoyait de faire un documentaire sur le parcours de plusieurs femmes ayant récemment reçu un diagnostic de cancer du sein. Elle imaginait une série d’entrevues qui permettrait de mieux saisir l’impact de la maladie dans leur quotidien.

Le projet du film Les jours s’est amorcé pendant la pandémie et la production a engagé une agence de casting pour trouver des participantes. « Ça me permettait d’aller chercher des gens qui auraient la volonté de parler sans avoir l’impression de forcer la main à qui que ce soit », raconte Geneviève Dulude-De Celles. Finalement, la cinéaste a trouvé une seule personne : Marie-Philip.

Un seul sujet

Marie-Philip a trouvé l’annonce sur la page d’un groupe de soutien sur les réseaux sociaux. Elle a accepté d’y participer. À ce moment, Geneviève avait encore dans l’idée d’interviewer plusieurs femmes.

Parce que la pandémie empêchait les rassemblements à l’époque, Marie-Philip avait créé un groupe Facebook pour son entourage, à qui elle envoyait des vidéos pour les tenir au courant de l’évolution des choses. Après leur rencontre, Marie-Philip a invité Geneviève à se joindre au groupe.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Geneviève Dulude-De Celles

J’ai eu accès à toutes ces vidéos et ça m’avait vraiment charmée de voir l’authenticité de la chose, de voir sa famille et le côté humain qui peut être drôle malgré toutes les difficultés.

Geneviève Dulude-De Celles

« En cours de route, j’ai fini par délaisser les entrevues, j’ai eu envie de la filmer dans son contexte de vie, et, vu la COVID, j’avais moins d’accès, donc j’ai décidé de lui donner sa petite caméra pour qu’elle prenne ses propres images. »

Surtout, Geneviève a décidé que son documentaire ne parlerait que de l’histoire de Marie-Philip. Les jours parle de ses traitements, de ses joies et ses déceptions, de ses proches, de sa relation à son corps, de sa recherche de l’amour aussi, à travers la maladie.

Le cancer du sein dans la vingtaine

Quand Marie-Philip a appris qu’elle avait un cancer du sein, elle n’a trouvé personne de son âge qui vivait la même chose. À l’hôpital, dans les groupes de soutien, des femmes plus âgées discutaient de problèmes qui ne la concernaient pas.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Marie-Philip

Quand j’ai vu passer l’annonce [pour le documentaire], je me suis dit que si je participais, il y en aurait au moins une dans le film qui serait plus jeune. Je me suis dit que la prochaine fille qui va avoir un diagnostic dans la vingtaine se sentirait moins comme une extraterrestre si elle me voyait.

Marie-Philip

« Les enjeux ne sont pas les mêmes. Je ne savais pas si je voulais avoir des enfants et on me parlait d’infertilité », ajoute-t-elle. Ainsi, une des raisons d’être du film de Geneviève Dulude-De Celles est devenue de « montrer cet angle mort », dit la réalisatrice. Les jours s’est dessiné au gré du temps.

« Au début, je pensais que j’allais être une figurante de deux minutes dans un documentaire de Canal Vie, lance Marie-Philip, dont le visage orne l’affiche du documentaire, présenté en première au Festival de cinéma de la ville de Québec la semaine dernière. Je réalise maintenant tout ce qui se passe. […] J’ai encore une certaine peur d’être perçue comme frêle et malade. Mais d’un autre côté, je trouve important qu’on voie tous ces aspects de la maladie. Comme dater après la maladie ou l’impact sur les proches. »

Sensibiliser les gens

Devenue le sujet principal d’un film, Marie-Philip dit ne jamais s’être sentie « envahie ». La bienveillance et la douceur de Geneviève ont permis de faire les choses au bon rythme. « Je n’étais présente qu’une fois toutes les trois semaines environ, raconte la cinéaste. Le reste du temps, Marie-Philip me fournissait ce qu’elle voulait de ce qu’elle avait filmé elle-même. »

En plus des heures de vidéos captées pendant un peu plus d’un an par Marie-Philip et de ce qu’elle avait filmé elle-même, Geneviève Dulude-De Celles a également pu accéder à des vidéos d’archives, ainsi qu’au contenu photo et vidéo du cellulaire de la jeune femme.

PHOTO FOURNIE PAR MAISON 4 TIERS

Scène du film Les jours, de Geneviève Dulude-De Celles

« Je me suis rendue à l’évidence : mes super entrevues avec mon gros attirail, ma grosse technique, ma grosse caméra, finalement, ça ne valait pas ce que Marie avait capté avec sa petite caméra à 200 $. C’est ça qui comptait. C’était plus parlant. »

Les deux femmes réitèrent en entrevue le plaisir de s’être trouvées, d’avoir forgé un lien grâce à ce film.

« Je sens aussi qu’en la côtoyant, ça a rendu plus concret quelque chose qui était abstrait pour moi, implique Geneviève Dulude-De Celles. Je regardais les femmes de ma famille, ce qu’elles ont vécu, et il y avait une peur d’évoquer ces sujets-là. Ça m’a permis de comprendre la réalité. »

Toutes deux espèrent que cette « réalité » pourra être maintenant vue par le plus grand nombre. « J’espère par exemple que ça pourra sensibiliser des gens plus jeunes à faire des autoexamens », dit Marie-Philip. « Moi, je ne m’étais jamais examiné les seins avant. Je ne pensais même pas que c’était possible, d’avoir un cancer du sein avant 40 ans. »

À l’affiche le 29 septembre