Dans la lignée de 7 paysages, documentaire contemplatif où il filmait le fil des saisons dans une forêt traversée d’une rivière, le cinéaste et homme des bois Robert Morin s’intéresse à la faune dans Festin boréal, où insectes, oiseaux et mammifères dévorent la carcasse d’un orignal.

Après 7 paysages (2022), Robert Morin souhaitait de nouveau faire ce qu’il appelle du « cinéma pur », c’est-à-dire un film « qui ne fait pas appel à autre chose qu’au cinéma ». À cette envie de « recherche cérébrale sur le cinéma » s’est joint le souvenir d’un ami qui avait retrouvé, après trois jours de recherche, la carcasse de l’orignal qu’il avait tué en partie mangée par les corneilles. Six mois plus tard, le cinéaste et son ami chasseur s’étaient rendus sur les lieux du festin pour constater qu’il ne restait plus rien des quelque 650 kilos de viande.

« J’avais été fasciné par l’utilité de la mort dans la nature, se souvient le cinéaste, qui vit dans les bois et chasse depuis des années. En fait, je voulais montrer la beauté de la nature. J’ai donc écrit un scénario. Jeune, j’avais beaucoup aimé Jack London, alors j’ai écrit une espèce d’histoire à la manière de cet écrivain où l’orignal avait une personnalité, puis mourait et gardait sa personnalité pendant que les autres animaux venaient se servir. J’ai imaginé toutes sortes de conflits entre eux ; évidemment, rien de ça n’est arrivé, mais ça m’a permis d’avoir des sous pour faire ce film-là. »

Voulant à tout prix éviter le documentaire animalier à la sauce disneyenne, avec des animaux qui deviennent des personnages, ou à la manière de ceux produits par la BBC et narrés par David Attenborough, Robert Morin s’est battu pour qu’il n’y ait pas de narration. Toutefois, la présence humaine se manifeste à quelques reprises au cours de ce film tourné dans la réserve faunique La Vérendrye.

C’est un film sur l’utilité de la mort chez les animaux, mais nous, on est vraiment des purs prédateurs. On ne donne jamais rien en retour à la nature, pas même nos carcasses, on est dénaturés. On a vraiment une phobie de nos restes qui vient de la supériorité qu’on s’est donnée sur les animaux et les autres espèces depuis longtemps.

Robert Morin, cinéaste

« J’ai donc mis des êtres humains à trois endroits : le chasseur qui chasse pour le panache ; l’autochtone qui, même s’il a beau dire « bon voyage » à l’orignal, trappe aussi ; et les bûcherons qui apparaissent à la fin », ajoute-t-il.

Loup, y es-tu ?

De son propre aveu, Festin boréal est le film le plus difficile que Robert Morin a réalisé en près de 50 ans de carrière. Ayant nécessité sept carcasses d’orignal du ministère des Transports, tourné durant trois ans dans des conditions météorologiques pas toujours clémentes, le film a bien failli ne pas voir le jour. Comme plusieurs des carcasses étaient des femelles, la directrice artistique André-Line Beauparlant a dû confectionner des panaches en résine de synthèse pour la continuité. Par ailleurs, une carcasse a entièrement été dévorée par des corbeaux et une autre par un ours. Or, le cinéaste voulait plusieurs espèces, dont des loups, lesquels ne sont apparus qu’au dernier printemps.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Robert Morin

« Le nombre de fois où on a failli tirer sur la plogue ! lance-t-il en riant. C’était un travail d’endurance, un exercice de patience capoté pour moi qui ne suis pas patient. J’ai travaillé avec un ami trappeur ; on a parcouru le parc de La Vérendrye de fond en comble pour trouver des coins où il y avait des loups, placer des orignaux pas loin des loups. Chaque fois, c’était rebelote et on remettait un autre orignal. J’ai joué dans la charogne, j’ai eu mal au cœur pendant trois ans de temps. Même l’hiver, quand c’est gelé, et que les animaux creusent, ça sent… »

Afin de tourner à distance de jour comme de nuit, il a fallu concevoir des systèmes de déclencheur de caméra automatique, des capteurs infrarouges et des éclairages infrarouges en veillant à ce que les animaux ne les voient pas. Plusieurs caméras ont été brisées à cause du froid et des éléments ; un ours a même démantibulé l’une d’elles.

PHOTO FOURNIE PAR MAISON 4 : 3

Scène du film Festin Boréal

Un vrai film expérimental

« On a commencé avec des caméras haut de gamme et on a fini avec des caméras de chasse. Le film tient la route grâce au directeur Thomas Leblanc Murray, qui a pris en charge tout l’aspect technique. Il y a des bouts, je braillais quasiment quand il faisait 35 sous zéro avec de la neige jusqu’aux oreilles et que tous les kodaks étaient gelés. C’était dur. Deux fois par semaine, il fallait changer les batteries des caméras – des batteries marines de 200 livres chacune ; j’en avais 14 à aller changer dans le bois en Ski-Doo ou en VTT. C’est un film expérimental dans tous les sens du terme. »

Un film expérimental que le cinéaste qualifie de suspense contemplatif qui n’en est pas moins un film de fiction avec des effets spéciaux de Patrick Boivin pour animer l’orignal blessé par une flèche. « Il y a plein de magie dans ce film-là. La belette dans la carcasse, elle ne mange pas d’orignal, mais un morceau de castor. On a beaucoup travaillé sur le son ; il y a du bruitage comme dans un long métrage de fiction parce que c’en est un. Il y a beau ne pas y avoir d’histoire, dans 7 paysages, tu te demandais de quoi aurait l’air le paysage la prochaine fois. Dans Festin boréal, tu te demandes qui va se présenter devant la carcasse. Dans la contemplation, généralement, ce n’est pas la chose que tu contemples que tu finis par contempler, mais toi-même. »

D’ailleurs, après avoir observé la flore puis la faune, Robert Morin songe à se tourner du côté de ses semblables. « J’ai le goût d’essayer de faire un autre film contemplatif, mais avec des êtres humains, sans être dans une situation dramatique, ni dans l’entrevue, ni dans la téléréalité. Je ne sais pas trop comment l’aborder, mais je travaille là-dessus… », promet-il.

En salle

Qui est Robert Morin ?

  • Scénariste, réalisateur, directeur photo et acteur né à Montréal le 20 mai 1949, Robert Morin fonde la Coop Vidéo avec des amis en 1977.
  • En 1992, il tourne Requiem pour un beau sans-cœur ; le film est sélectionné l’année suivante à la Semaine de la critique à Cannes.
  • Lauréat du prix du Gouverneur général en 2009 pour l’ensemble de son œuvre, il remporte le Prix collégial du cinéma québécois en 2018 pour Le problème d’infiltration.

Une première version de ce texte mentionnait que le tournage du film avait eu lieu dans le parc de La Vérendrye. Il s'agit plutôt de la réserve faunique La Vérendrye. Nos excuses.