Dans Civil War, Kirsten Dunst incarne une photojournaliste américaine qui documente un conflit armé dévastateur dans son propre pays. En plus de nous être entretenu avec le réalisateur et scénariste Alex Garland, nous avons vu son film avec notre collègue à la retraite Michèle Ouimet et en avons discuté avec celle qui a couvert plusieurs zones de guerre au cours de sa carrière de journaliste.

Dans une scène qui se déroule au début du dernier acte, après avoir de nouveau échappé à la mort, Jessie, l’aspirante photographe de guerre jouée par Cailee Spaeny, confie à Lee, personnage de Kirsten Dunst : « Je n’ai jamais eu aussi peur et je ne me suis jamais sentie aussi vivante. »

« C’est une phrase qui est très vraie, nous confirme Michèle Ouimet après notre visionnement. C’est cette adrénaline-là qui fait qu’on parvient à faire ce métier. »

PHOTO FOURNIE PAR A24

Kirsten Dunst (Lee Miller) et Cailee Spaeny (Jessie Cullen) dans Civil War

Celle qui s’est entre autres rendue en Afghanistan, en Syrie, au Liban, au Pakistan et au Rwanda afin de témoigner de la guerre pour La Presse précise qu’elle est « toujours restée très prudente ». « Des journalistes qui se jettent tête baissée dans le danger parce qu’ils ont besoin de leur dose d’adrénaline, ça existe. J’en ai vu, des junkies de l’adrénaline, mais je dirais que c’est une minorité », ajoute-t-elle.

L’autrice de Partir pour raconter et de La promesse souligne que les photographes prennent beaucoup plus de risques que les journalistes.

On peut rester un peu en retrait pour observer, alors que les photographes doivent être dans l’action.

Michèle Ouimet, journaliste à la retraite

Le père d’Alex Garland, Nicholas, était caricaturiste pour The Daily Telegraph, à Londres. Il n’a pas couvert de guerre, mais plusieurs de ses amis, qui étaient correspondants à l’étranger, oui. Alex Garland les a côtoyés et ressent un grand respect pour leur profession.

« Je les voyais en dehors du travail, ils étaient à la fois sarcastiques, drôles et chaleureux, mais lorsqu’il était question de leur métier, ils étaient sérieux, rationnels et vraiment courageux. Dans les 10 dernières années, j’ai remarqué une hausse des attaques envers les principes du journalisme, en particulier de la part des politiciens. C’est entre autres parce que ce constat me fâche que j’ai représenté ainsi les journalistes dans mon film », explique le réalisateur d’Ex Machina, d’Annihilation et de Men.

Fictif, mais plausible

Lee et Jessie sont accompagnées de Joel (Wagner Moura) et de Sammy (Stephen McKinley Henderson) dans leur périple. Le premier est le collègue reporter de la photographe d’expérience à l’agence Reuters et l’autre est un vétéran du New York Times. Civil War raconte le long et dangereux chemin du quatuor de New York à Washington DC, qui les fera entre autres passer par Pittsburgh et Charlottesville, car les autoroutes sont impraticables.

PHOTO VALÉRIE MACON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le réalisateur et scénariste de Civil War, Alex Garland, lors d’une présentation spéciale du film à Los Angeles

Alex Garland a imaginé les États-Unis déchirés par un conflit politique qui n’est jamais expliqué. Le président, joué par Nick Offerman, en est à son troisième mandat – alors que la limite est de deux – et n’a pas accordé d’entrevue depuis plus d’un an. Il diffuse à la télé et à la radio des messages se voulant rassurants par rapport à la « menace » des groupes sécessionnistes, dont les Forces de l’Ouest du Texas et de la Californie ainsi que l’Alliance de la Floride. Dans presque tout le pays, on se tire dessus sans poser de question. Le chaos règne et la violence est omniprésente.

« Je ne suis pas un pessimiste, mais l’enjeu n’est pas que nous nous dirigeons vers cette situation puisque nous y sommes déjà, estime le Britannique. Des actes terribles et inhumains ont lieu à l’heure où on se parle et certains sont planifiés, réfléchis et motivés avec une telle gravité qu’il y a un réel danger de contamination. »

J’ai grandi à une époque dans laquelle il était impensable de répéter les erreurs de la Seconde Guerre mondiale. Ces leçons ont été oubliées et cela me choque profondément.

Alex Garland, réalisateur et scénariste de Civil War

« La vie est plus forte que tout »

Certaines scènes de Civil War offrent un contraste saisissant entre la désolation des champs de bataille et la beauté de la vie. De doux rayons de soleil, des fleurs dans l’herbe, mais aussi des humains qui s’amusent et qui rient.

« Le monde est un endroit aux multiples textures où le bien et le mal rivalisent, soulève Alex Garland, qui a aussi écrit le roman The Beach et le scénario de 28 Days Later. C’est assez étonnant de voir que dans un lieu où se déroulent des atrocités, il peut y avoir des gens à proximité qui jouent au soccer ou qui admirent le paysage. »

Michèle Ouimet confirme.

Alep [en Syrie] était à feu et à sang, mais un peu plus loin, des gens allaient au marché, à l’école. Les cafés étaient ouverts. La vraie vie côtoie l’horreur, et c’est le cas à peu près partout. Je trouve qu’il le représente bien avec la scène de la “twilight zone”.

Michèle Ouimet, journaliste à la retraite

Même dans les camps de réfugiés, où elle s’est souvent rendue, la journaliste observait de la résilience et des lueurs de bonheur, comme en témoigne le film. « Les gens sont traumatisés et ne savent pas combien de temps ils vont être là, mais la vie est plus forte que tout. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Michèle Ouimet à Azaz, en Syrie, en 2012

Parmi les autres éléments qu’elle a appréciés, elle souligne « le danger des routes vides : il n’y a personne et tout à coup, tu vois des gens et tu ne sais jamais s’ils sont dangereux ou non ».

Les conseils prodigués par le doyen Sammy lui ont aussi paru pertinents. « Il faut que tu dormes quand tu peux, parce que tu ne sais jamais ce qui va arriver. Se promener dans un pays en guerre, c’est délicat et c’est compliqué, car il faut manger, boire, dormir, trouver de l’essence… »

Quelques incohérences

Certains aspects de Civil War manquent toutefois de réalisme, selon Michèle Ouimet.

PHOTO FOURNIE PAR A24

Wagner Moura incarne Joel, journaliste pour Reuters.

« Tu ne peux pas entrer dans une base militaire comme bon te semble. En Afghanistan, j’ai rempli des kilomètres de paperasse. Puis, une fois que tu as été accepté, ils ne t’amènent pas en pleine opération. Tu penses qu’ils veulent s’embarrasser de journalistes ? Et si tu as cet accès, c’est parce que tu as créé un lien de confiance. Mais ils ne vont pas mettre ta vie en danger », assure-t-elle.

La chroniqueuse à la retraite retient aussi le détachement parfois excessif de Lee. « Tu ne peux pas moralement accepter de voir des actes de torture. Elle s’est peut-être endurcie… moi, plus ça allait, plus j’étais fragile. J’ai fait un choc post-traumatique au Rwanda. Elle [Lee], c’est clair qu’elle en a fait un ou plusieurs. »

« Plus ça avance, moins c’est réaliste, mais il y a quand même des moments qui m’ont beaucoup touchée parce qu’ils sont vrais et justes », conclut-elle.

Civil War est à l’affiche.