Dans Hôtel Silence, adaptation à la fois fidèle et personnelle du roman Ör, de l’Islandaise Auður Ava Ólafsdóttir, Léa Pool revisite ses thèmes de prédilection en suivant les pérégrinations d’un Québécois suicidaire dans un pays ravagé par la guerre.

Jusqu’à ce que Léa Pool lui manifeste par écrit son désir de porter à l’écran Ör (mot signifiant cicatrice au singulier comme au pluriel en islandais), Auður Ava Ólafsdóttir (Rosa Candida, Miss Islande, Éden) avait refusé qu’on adapte ses romans. « Fais ce que tu as à faire. Si tu as besoin de conseils, écris-moi », a-t-elle fini par dire à la cinéaste, qui ne l’a contactée qu’après avoir terminé Hôtel Silence.

À la lecture du roman ou en découvrant son adaptation, force est de reconnaître les thèmes chers à la réalisatrice, tels les lieux de passage (La femme de l’hôtel, Hotel Chronicles, Mouvements du désir), les traumatismes de la guerre (À corps perdu), l’exil (Anne Trister) et le désir d’en finir avec la vie (La demoiselle sauvage).

« J’ai été attirée par ce roman immédiatement et après, je me suis rendu compte de tous les liens souterrains qu’il y avait entre certaines de mes œuvres précédentes, surtout celles du début de ma carrière, confie Léa Pool. Je voulais rester fidèle au roman et en même temps, Auður, à qui j’avais envoyé des photos des acteurs, m’a donné une telle liberté, une telle générosité. Le jour où je lui ai envoyé le film fini, j’ai eu bien peur qu’elle ne l’aime pas, mais elle a beaucoup aimé la proposition. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La cinéaste Léa Pool à quelques jours de la première de son film Hôtel Silence, d’après le roman Ör, d’Auður Ava Ólafsdóttir

C’est un film que j’aime parce qu’il revient, bien que ce soit l’œuvre de quelqu’un d’autre, à mes sources.

Léa Pool

Rongé par le mal de vivre, Jean Létourneau (Sébastien Ricard) laisse derrière lui sa fille (Cassandre Latreille), sa mère (Louise Turcot) et son ami (Paul Ahmarani) afin de se rendre dans un pays ravagé par la guerre pour y mettre fin à ses jours. À l’Hôtel Silence, tenu par Zoran (Jules Porier) et sa cousine Ana (Lorena Handschin), mère du petit Adam (Sacha Semis Barthes), Jean exécute bientôt des petits travaux de rénovation. Au contact de ses hôtes et des villageois, il retrouve peu à peu goût à la vie.

« J’avais déjà œuvré dans cette ligne-là, c’est-à-dire des personnages en transition, dans une situation instable, qui doivent être obligés de reconsidérer leur vie et leur trajectoire. On y retrouve aussi des femmes, une forme de féminisme, de solidarité. D’ailleurs, ce que je trouve beau dans son roman, c’est comment l’autrice traite de cet homme-là. C’est un homme bienveillant, qui est à l’écoute, qui est ouvert sur la souffrance des femmes. Elle a une façon extrêmement respectueuse de l’être humain en général. »

Décor imposant

Tandis qu’elle avait presque terminé le scénario d’Hôtel Silence, Léa Pool s’est mise à chercher des villes de bord de mer en Europe. Le hasard a voulu qu’en « googlant », elle tombe sur Cerbère, village côtier des Pyrénées-Orientales, près de la frontière espagnole. S’y dresse fièrement, tel un paquebot mouillant les côtes, l’hôtel du Belvédère du Rayon vert – comme le film de Rohmer –, construit entre 1928 et 1932, selon les plans de l’architecte Léon Baille, qui s’est inspiré de l’architecture navale.

« Je suis tombée en amour avec cet hôtel ! Il est situé à deux heures de Barcelone et à trois quarts d’heure de Perpignan. C’est un lieu qui porte aussi la guerre, inconsciemment, puisque la guerre d’Espagne et la Seconde Guerre mondiale s’y sont croisées. » 

Les républicains qui fuyaient le franquisme passaient la frontière espagnole pour se réfugier du côté français. Quelques années plus tard, les Juifs qui fuyaient la zone franche, devenue allemande, passaient par là pour se cacher dans les Pyrénées.

Léa Pool

Alors que dans Ör, l’hôtel abrite des thermes, dont le jeune tenancier tente de restaurer les mosaïques, l’imposant hôtel Art déco en béton armé possédant une salle de spectacle, Léa Pool s’en est servi pour en faire une salle de cinéma où Zoran présente La mécano de la générale, de Buster Keaton et Clyde Bruckman, dont l’action tourne autour d’un train.

« C’était impossible de faire ça au cinéma, tous ces petits morceaux de céramique à recoller, et en même temps, il y avait toute cette idée qu’il faut remettre le cinéma en état parce qu’on veut revoir des films, transmettre la mémoire. Je trouvais ça amusant comme transposition. Les gares, les trains, ce sont des choses qui reviennent systématiquement dans mon cinéma. Même dans Strass Café, il y a la notion d’une gare ; dans À corps perdu, il longe les chemins de fer. Et en plus, c’est un film silencieux… »

À l’instar d’Auður Ava Ólafsdóttir, la cinéaste née en Suisse ne nomme pas le pays portant les cicatrices de la guerre où se rend Jean. Afin de brouiller les pistes, elle a même fait appel à une distribution cosmopolite au cœur de laquelle évoluent Irène Jacob, en reporter de guerre plutôt qu’en star de cinéma comme dans le roman, Sasha Samar, en touriste malveillant, et Igor Ovadis, en restaurateur accueillant. On y entend même des femmes qui entonnent un chant révolutionnaire en catalan, langue sans pays.

« La guerre et le passé européen, on ne le sent pas au Québec comme en Suisse, en France, en Allemagne où j’ai beaucoup d’amis. Ce qui se passe en Ukraine, on ne le vit pas ici au même niveau qu’on le vit en Europe. On me demande pourquoi j’ai choisi le roman d’une Islandaise ; c’est vrai que j’aurais pu prendre une œuvre québécoise, mais je ne suis pas sûre si un romancier ou une romancière d’ici a écrit sur une guerre en Europe. Quand je dis qu’il y a une partie inconsciente dans ma volonté de faire ce film-là, c’est parce que tout d’un coup, j’avais peut-être besoin de quelque chose qui retourne à des sources plus fondamentales de ma jeunesse, de la vie avec mon père, qui a vécu la Seconde Guerre mondiale. »

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