En portant à l’écran Hôtel Silence, d’après Ör, d’Audur Ava Ólafsdóttir, Léa Pool place la barre très haut pour les cinéastes qui voudront adapter les œuvres de la romancière islandaise.

Récemment divorcé, Jean Létourneau (Sébastien Ricard), 52 ans, n’a plus le goût de vivre. Sans avertir sa mère en perte d’autonomie (Louise Turcot), sa fille (Cassandre Latreille) et son ami (Paul Ahmarani), il prend un billet aller simple pour un pays se relevant difficilement d’une guerre. Dans ses modestes bagages, l’homme à tout faire range une perceuse et un crochet.

À l’hôtel Silence, tenu par Zoran (Jules Porier), fils de la propriétaire installée à l’étranger, et sa cousine Ana (Lorena Handschin), qui élève seule son fils Adam (Sacha Semis Barthes), muet depuis la fin de la guerre, Jean fait la connaissance de Kristina (Irène Jacob), reporter de guerre, et de l’énigmatique locataire de la chambre 9 (Sasha Samar). Bientôt, Jean apprend du proprio du resto du coin (Igor Ovadis) que les villageois ont eu vent des talents pour la rénovation de l’homme à la perceuse. Si la suite du récit réserve peu de surprises et peut paraître naïve, il n’en demeure pas moins qu’elle offre de beaux moments d’humanité et d’espoir.

PHOTO FOURNIE PAR LES FILMS OPALE

Sébastien Ricard et Sacha Semis Barthes dans Hôtel Silence

Dans Ör, un roman d’Auður Ava Ólafsdóttir qui hante longtemps le lecteur, le jeune tenancier de l’hôtel Silence restaurait morceau par morceau les mosaïques des thermes cachés sous l’édifice. Dans Hôtel Silence, adaptation d’Ör, Zoran s’applique à rénover la salle de cinéma de l’hôtel afin de faire revivre les images du passé. Par ce choix judicieux, inspiré par le majestueux hôtel Le Belvédère du Rayon Vert dans la commune française de Cerbère, Léa Pool semble elle-même construire une œuvre originale à partir des plus beaux fragments de ses films.

Parole libératrice

Ainsi reconnaît-on au fil de ce récit sur la résilience, la reconstruction et la transmission des motifs explorés notamment dans La femme de l’hôtel, où une femme suicidaire rencontrait une équipe de cinéma, dans À corps perdu, qui mettait en scène les tourments amoureux d’un reporter de guerre, et dans Anne Trister, où elle traitait de l’exil, du deuil et des blessures de l’enfance.

Très personnelle, l’adaptation d’Ör s’avère également très fidèle, la réalisatrice ayant trouvé le parfait équilibre entre le respect de l’œuvre originale et le désir de se l’approprier.

Certes, le Québec y remplace l’Islande, les noms des personnages ont été changés, mais la puissance des mots simples et bruts qu’emploie Auður Ava Ólafsdóttir pour décrire les traumatismes de la guerre demeure intacte dans Hôtel Silence. Ayant choisi justement de ne pas recourir aux flashbacks, Léa Pool transforme Ör en un bouleversant film choral où la parole libératrice de chacun, recueillie par Jean, pétri d’empathie, devient fière gardienne des traditions et souvenirs, même les plus douloureux, ainsi que promesse solennelle d’un avenir meilleur. Fidèle aux dialogues du roman, la cinéaste leur insuffle une force durassienne grâce à une interprétation sans fioriture, presque détachée, qui laisse toute la place à l’imagination du spectateur.

À la mise en scène sobre de Léa Pool, qui tire avantageusement profit des lieux marqués par l’histoire tout en préservant leur anonymat, s’agence parfaitement la photographie soignée de Denis Jutzeler (Double sentence, Et au pire on se mariera). Berçant ces images porteuses de sens, la bande sonore aux accents slaves de Mario Batkovic, qui réhabilite l’accordéon, donne à Hôtel Silence une dimension à la fois nostalgique et intemporelle.

Portant le film sur ses solides épaules, Sébastien Ricard incarne à la perfection cet homme de peu de mots qui retrouve peu à peu goût à la vie. À ses côtés, la nouvelle venue Lorena Handschin possède une fraîcheur et un charme mutin qui en font la grande révélation d’Hôtel Silence.

En salle

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Hôtel Silence

Drame

Hôtel Silence

Léa Pool

Sébastien Ricard, Lorena Handschin, Jules Porier

1 h 40

8/10