L’écrivaine islandaise Auður Ava Ólafsdóttir était de passage à Montréal cette semaine pour assister à la première du film Hôtel Silence, adapté de son roman Ör par la réalisatrice et scénariste Léa Pool. Nous en avons profité pour lui parler du film qui sort en salle vendredi – et qui nous a donné envie de relire le roman.

Dans le film, le personnage de Jónas, un homme qui part dans un pays en guerre avec l’idée de mettre fin à ses jours, est devenu Jean (interprété par Sébastien Ricard), et il n’est plus islandais, il est québécois. Qu’avez-vous pensé de ce changement ?

J’ai décidé de donner une carte blanche à Léa Pool parce qu’un artiste doit faire confiance à 100 % à un autre artiste. Pendant longtemps, c’était moi, le problème, parce que j’ai résisté, je n’ai voulu donner les droits cinématographiques à personne. Ni en Islande ni à l’étranger. Et il y avait des demandes pour plusieurs romans [pour Ör et pour d’autres romans également]. J’ai toujours été cette écrivaine difficile [rires], mais quand j’ai pris la décision de lâcher prise, j’ai décidé de ne pas m’en mêler et de donner la liberté totale à Léa Pool. En fait, je pense que ça a facilité un peu la tâche, le fait que c’était un film étranger et pas islandais. C’est son film à elle, c’est indépendant, c’est son œuvre à elle.

C’est la première fois que vous accordez les droits cinématographiques pour l’un de vos romans. Pourquoi avez-vous choisi de dire oui à Léa Pool ?

D’abord, parce que j’aime beaucoup le cinéma canadien francophone pour son originalité. C’était le premier point. Et après, Léa Pool a beaucoup de maturité. J’ai regardé ses autres films et j’ai beaucoup aimé sa sensibilité, son intelligence, et j’ai décidé de tenter l’expérience, je n’avais aucun souci. Et le fait que ça fait quand même quelques années que j’ai écrit Ör m’a beaucoup aidée à moi aussi à me distancier de l’œuvre cinématographique.

Léa Pool a repris de nombreux extraits du livre dans la narration et les dialogues. Qu’avez-vous pensé du film ?

J’étais bien soulagée quand elle m’a envoyé le film, ça fait déjà quelques mois. Je pense qu’elle était stressée, et moi aussi ! Je me souviens que j’ai fait une promenade avant de le regarder. Mais au bout de cinq minutes, j’étais soulagée. Aussi parce que c’est une œuvre indépendante ; ce n’est pas un compromis, tout en restant fidèle au roman. Il faut tout réduire à l’échelle humaine pour que celui qui regarde le film puisse s’identifier à l’histoire. Et on crée ce microcosme de quelqu’un qui souffre. Un personnage qui souffre, c’est toute l’humanité qui souffre. Et la reconstruction qui a souvent lieu dans mes romans, qui en quelque sorte symbolise le voyage initiatique du personnage, la guérison, la réparation, c’est ce qui réunit à la fois mon livre et le film.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Auður Ava Ólafsdóttir en entrevue avec La Presse

Qu’est-ce que vous avez pensé du fait que ce soit Ör qui soit le premier de vos romans à être adapté au grand écran ?

Ça a un sens, d’abord, parce que malheureusement, le sujet est toujours très actuel. Il y a quand même 60 guerres dans le monde, et les problèmes climatiques sont passés à l’arrière-plan dans les pays occidentaux. En même temps, c’est plutôt logique parce que c’est mon roman le plus traduit dans le monde, dans une trentaine de langues – Rosa Candida vient en deuxième. Ör a aussi remporté un prix important, le Grand Prix de littérature du Conseil nordique [en 2018] et a été sélectionné pour des prix importants en Italie et ailleurs.

Avez-vous un nouveau roman en cours d’écriture ?

Je viens de sortir un nouveau roman en islandais, il s’appelle DJ Bambi. Il parle d’une femme trans qui a une soixantaine d’années et qui est DJ. Un producteur islandais m’a déjà demandé les droits d’adaptation pour le cinéma pour ce roman, mais j’ai refusé ; ça venait de sortir, je n’étais pas prête. Éric Boury est en train de le traduire en français, mais je pense qu’il va plutôt sortir l’année prochaine.

Hôtel Silence sera présenté en salle vendredi

Qui est Auður Ava Ólafsdóttir ?

  • Écrivaine islandaise, née à Reykjavik en 1958, elle est traduite dans le monde entier depuis son roman Rosa Candida, qui avait remporté le Prix des libraires du Québec en 2011.
  • Son roman Miss Islande a reçu le prestigieux le prix Médicis étranger en 2019.
  • Ör, qui veut dire « cicatrices » en islandais, a été publié en français en 2017, chez Zulma.
  • Son plus récent roman traduit en français, Éden, est paru en novembre dernier (chez Zulma).
Ör

Ör

Zulma

240 pages