Couple à la ville et complices à l’écrit, le réalisateur Robin Aubert et la scénariste Julie Roy décrivent dans Tu ne sauras jamais, bouleversant long métrage minimaliste en salle ce vendredi, le quotidien d’un résidant d’un CHSLD qui, au plus fort de la pandémie, souhaite retrouver la femme qu’il aime.

S’étant confinés à la campagne avec leurs deux jeunes enfants en pleine pandémie, Robin Aubert (À l’origine d’un cri, Les affamés) et Julie Roy (les séries Nomades et Les cavaliers) se sont retrouvés privés de la présence de leurs parents. Le seul contact qu’ils avaient avec l’actualité, comme la majorité des Québécois, c’était les points de presse du gouvernement Legault. Ceux-là même où l’on dénombrait chaque jour les décès liés à la COVID-19. Ceux-là même où l’on suivait l’évolution de l’hécatombe dans les CHSLD.

« On n’était pas conscients de ça quand on l’a fait, mais maintenant on peut dire que c’est notre façon de communiquer ce qui se passait à l’époque, raconte la scénariste. C’est comme une catharsis, une soupape, d’avoir créé un personnage qui vit cette situation-là, mais qui cherche les moyens de sortir de sa chambre. Ça nous a fait du bien de faire vivre ce personnage-là. »

Habitués de travailler chacun de leur côté, de commenter le travail de l’autre en toute transparence, le réalisateur et la scénariste ont trouvé tout naturel d’écrire ensemble Tu ne sauras jamais, titre emprunté à un succès des BB. Après tout, comme l’a rappelé Robin Aubert lors de la rencontre, Nathalie Roy, à cette époque ministre de la Culture, avait demandé aux artistes de se réinventer…

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Le réalisateur Robin Aubert

« Quand tu connais l’autre à ce point-là, il n’y a pas de bullshit. Quand j’envoie un passage à Julie et qu’elle me dit que c’est poche, il n’y a pas de malaise non plus, confie le cinéaste. Ça s’est fait naturellement, dans le plaisir. Il n’était pas prévu, ce film-là ; j’avais déjà un scénario prêt pour le dépôt. Je n’avais pas prévu non plus travailler avec Étienne Hansez, qui produit les films de Sophie Dupuis. Le tournage a été extraordinaire, comme si le film existait déjà dans une espèce de monde intemporel. Il était là, il s’est imposé à nous, puis il s’est fait. On se réveille, on est assis ici, puis on parle de ce film-là. »

Même si la pandémie n’est pas si lointaine, voir Paul Vincent (Martin Naud), résidant d’un CHSLD, recevoir la visite des membres du personnel portant masque, visière et uniforme de protection donne l’impression d’observer une scène appartenant à une époque depuis longtemps révolue ou à un futur rapproché.

PHOTO FOURNIE PAR LES MAXIMES

Robin Aubert sur le plateau de tournage de Tu ne sauras jamais

De fait, avec ses longs plans fixes, ses travellings lents, sa trame sonore industrielle, Tu ne sauras jamais ressemble à un drame d’anticipation offrant une vision alarmante d’une société déshumanisée.

« Je viens de l’histoire de l’art, explique Julie Roy. Des fois, j’aime ça réfléchir le contenant avant le contenu, puis vice versa. Le concept, c’était de rester dans la chambre et que lorsqu’on sort de la chambre, tout d’un coup l’univers bascule. On ne s’est pas imposé de règles, mais des principes qui allaient avec le propos et ce qu’on voulait dire, de rester dans cette pensée-là, de ne pas y déroger. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La scénariste Julie Roy

« Écrire, c’est beaucoup parler, réfléchir, philosopher, poursuit Robin Aubert. Dans ce cas-là, les questions que je me posais, c’était comment chorégraphier le vide et le temps à l’écran, comment exprimer la solitude. Je savais que je m’imposerais une espèce de liste stricte à laquelle ne pas déroger, parce que moi, comme scénariste, j’ai tendance à déroger. »

Ceci n’est pas un film social

Le cinéaste dévoile qu’au fil des années il est devenu adepte d’un cinéma contemplatif. Hormis une petite touche de réalisme magique et quelques références hitchcockiennes au dernier acte, on retrouve dans Tu ne sauras jamais une forme d’hommage aux films de Béla Tarr, d’Andreï Tarkovski, de Roy Andersson et, avant tout, de Chantal Akerman. Plus particulièrement Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles, où l’on suit le quotidien aliénant d’une ménagère.

PHOTO FOURNIE PAR AXIA FILMS

Martin Naud, dans Tu ne sauras jamais

« Tu ne peux pas sortir le cinéphile du cinéaste, dit le réalisateur. C’est peut-être mon film où il y a le plus de clins d’œil, alors que c’est supposé être un film social. Quand tu décides de filmer quelqu’un dans une chambre dans un CHSLD et que tu parles de solitude, c’est sûr que le système en prend pour son compte parce que ça te met en pleine face où est-ce qu’on s’en va et qu’on le sait que ça changera pas. Dans le fond, c’est une histoire d’amour. »

C’est important de dire qu’on ne voulait pas faire un film social. Malgré le sujet, ça n’a jamais été notre intention. Il n’y a pas de sarcasme ni d’ironie, mais il y a de la candeur et de l’amour. Il y a un côté romantique à la Kaurismäki et l’amour des personnages que Robin a aussi apportés.

Julie Roy, scénariste

Avec le cinéaste finlandais, Robin Aubert partage un amour pour les non-acteurs. N’ayant pu offrir le rôle à Jean Lapointe pour des raisons de santé, le réalisateur s’est tourné vers Martin Naud, ex-policier sans expérience de jeu. Il a également invité à se joindre à la distribution Jean-Marie Lapointe, fils de Jean, afin que tous deux puissent rendre ensemble un dernier hommage au grand acteur disparu en novembre 2022.

PHOTO FOURNIE PAR AXIA FILMS

Martin Naud et Jean-Marie Lapointe dans Tu ne sauras jamais, de Robin Aubert

« Ça m’a fait du bien comme cinéaste, et même comme acteur, de travailler avec un non-acteur. Il y a une vérité et une simplicité qu’on a tendance à perdre avec la technique, le temps, l’expérience. Martin, un gentleman, connaissait le nom de tout le monde et il était respectueux de tout le monde sur le plateau. Il livrait une part de lui-même que nous, acteurs, avons tendance à mettre dans notre voix, dans nos tics. Lui, il avait juste sa vérité et quand tu filmes la vérité, inévitablement, tu veux rester longtemps sur la vérité, tu ne veux pas couper parce que c’est aussi ça, la solitude. C’est pas hip, c’est pas vendeur, mais les paramètres qu’on s’était donnés et le fait de travailler avec quelqu’un de conceptuel comme Julie m’ont permis de demeurer dans mon concept tout le long. En faisant ce film-là, j’ai beaucoup appris sur mon métier », conclut Robin Aubert.