Lothaire Bluteau se fait rare au Québec depuis 30 ans. Le comédien de Jésus de Montréal est de passage en ville pour la promotion du film de François Péloquin La fonte des glaces, dans lequel il joue un détenu ravagé par la vie, aux côtés de Christine Beaulieu, son agente de libération conditionnelle. Portrait.

Lothaire Bluteau vit avec la peur au ventre. Son regard voilé, mélancolique, en témoigne. Ses yeux s’embuent en entrevue lorsqu’il évoque un souvenir lointain. Le visage du comédien est fatigué, son corps est très maigre ; il ressemble à un marathonien en fin de parcours. Mais Lothaire Bluteau est un athlète du cœur.

« Quand je regarde le visage de Lothaire, je vois toutes les marques des projets qui l’ont forgé, confie sa partenaire de jeu dans La fonte des glaces, Christine Beaulieu. À 66 ans, Lothaire n’est pas blindé ; son cœur reste ouvert. C’est un métier qui use et il faut se protéger. »

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Lothaire Bluteau et Christine Beaulieu avec le réalisateur de La fonte des glaces, François Péloquin (au centre)

Il arrive en coup de vent à la rencontre avec les médias, dans un bar du Vieux-Montréal. Au départ, sa voix est feutrée, presque inaudible. Puis son débit s’accélère. Sa parole s’affirme avec des gestes aussitôt qu’on aborde son rôle… Et le cinéma.

Ses débuts au théâtre

Lothaire Bluteau a entamé sa carrière au théâtre avec des mentors. Après le Conservatoire d’art dramatique, il a joué avec La Roulotte sous le regard vif de Paul Buissonneau. Ensuite, il a secondé André Brassard et exploré Brecht, Genet, entre autres. En 1985, avec la création de la pièce culte de René-Daniel Dubois, Being at Home with Claude, sa carrière explose.

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Lothaire Bluteau dans Being at Home with Claude avec Guy Thauvette, en 1985

Contre toute attente, le jeune acteur quitte le théâtre et le Québec quelques années plus tard. Il s’installe à Londres, puis à New York et à Los Angeles. Il joue dans des films internationaux (Black Robe, Orlando, Bent), des séries télévisées (Miami Vice, 24, Law & Order), mais aussi de petites productions indépendantes en Europe de l’Est. À l’occasion, Bluteau est appelé au Québec pour tourner avec Denys Arcand (Jésus de Montréal) ou Robert Lepage (Le confessionnal).

« Une caméra, qu’elle soit plantée à Rome ou à La Tuque, ça reste la même technique de jeu », dit-il.

J’ai eu la chance de travailler avec des techniciens de talent dans plusieurs pays. Ils m’ont aidé à apprendre mon métier. Ils m’ont montré les focales, le cadrage, comment se déplacer pour bien entrer dans le cadre. Si un acteur est incapable de profiter du talent des autres sur un plateau, il ne peut pas exceller à l’écran.

Lothaire Bluteau

Il se souvient d’un tournage en Pologne. Au bout du rouleau, il était paralysé devant la caméra : « J’étais incapable de continuer. Je paniquais. Puis, j’ai senti la main du directeur photo se poser sur mon épaule. Son empathie m’a donné la force de continuer. »

Dans La fonte des glaces, Lothaire Bluteau incarne un tueur à gages qui finit de purger sa peine de prison. « Ce criminel porte tout le lourd poids de son passé sur ses épaules, dit son interprète. Enfant, il a été abusé par son père. Ce dernier lui a laissé comme legs le mépris et la violence. »

Avant de lui offrir ce rôle, le réalisateur a demandé à Bluteau d’auditionner dans un « self tape ». Il devait interpréter une chanson de Safia Nolin, La laideur. « Lothaire en a donné une version singulière et bouleversante. Une interprétation imparfaite, mais qui m’a tout de suite séduit, dit le cinéaste. Moi, je crois que l’imperfection nous rend plus humains dans la vie. On est tous faits du même bois, avec nos trous au cœur. C’est ce que j’aime exprimer à travers les personnages de mes films. »

Un film candide

Après Le bruit des arbres, un film sur les relations père-fils dans les familles de travailleurs forestiers en région, Péloquin explore dans son second long métrage, coécrit avec la scénariste Sarah Lévesque, un autre visage de la condition masculine. Avec en toile de fond les thèmes de la réinsertion sociale et de la justice réparatrice.

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Christine Beaulieu

Louise Denoncourt, le personnage de Chrisitine Beaulieu, souhaite sortir les détenus du cercle vicieux de la violence et la criminalité. Le récit montre ce lien fragile et particulier qui existe entre un détenu et une agente de libération. « Louise s’acharne à vouloir changer le monde, pour créer une société moins violente, dit le cinéaste. Elle n’a pas de vie en dehors de son travail. Il y a des limites à ce que cette femme peut faire pour changer les autres. »

François Péloquin souligne aussi que son film se termine sur une note d’espoir et de candeur. Sur fond de beau coucher de soleil, on voit Louise, en canot sur le fleuve, entonner Demain il fera beau, d’Étienne Coppée. « J’aime l’idée qu’on puisse se transformer, se réparer, et se reconstruire dans la vie, ajoute Christine Beaulieu. Ce personnage a beaucoup de points en commun avec moi. »

En salle le 22 mars

Qui est Lothaire Bluteau ?

Né à Laval en 1957, Lothaire Bluteau est un acteur québécois qui a travaillé un peu partout sur la planète.

Après un énorme succès au théâtre dans Being at Home with Claude, sa carrière au cinéma décolle en 1987 avec un premier rôle, celui d’un jeune déficient intellectuel dans Les fous de Bassan, réalisé par Yves Simoneau.

Il a eu des rôles marquants au grand et au petit écran durant plus de 30 ans dans des séries acclamées (Oz, Les Tudors, 24 heures chrono). Il demeure à jamais l’intense et iconique interprète de Jésus de Montréal, de Denys Arcand.