En juin 1977, un accident de la route a coûté la vie à cinq Atikamekw de Manawan. Ils sont morts noyés lorsque le véhicule dans lequel ils avaient pris place est tombé dans une rivière. Seuls deux des sept passagers ont survécu. Les deux… Blancs. Partant de ce drame oublié, Chloé Leriche décrypte deux solitudes dans son puissant et poétique film Soleils atikamekw.

Il y a deux semaines, à l’ouest de Chibougamau, quatre membres de la communauté crie de Waswanipi ont perdu la vie dans une collision frontale. La nouvelle a fait le tour du Québec et les autorités ont déployé du personnel d’intervention psychosocial pour soutenir la communauté, qui a décrété quatre jours de deuil. Des reconstitutionnistes de la Sûreté du Québec et des techniciens en scène d’incendie ont rapidement amorcé leur enquête pour éclaircir les circonstances de l’accident.

Il y a près de 50 ans, une tragédie similaire a eu lieu entre Saint-Michel-des-Saints et Manawan. Cinq membres de la communauté atikamekw avaient péri noyés. Les deux Blancs à qui appartenait le véhicule s’en sont sortis, eux. Que s’est-il passé ? Personne ne le sait vraiment. Ce drame a vite été classé, comme le raconte aujourd’hui la cinéaste Chloé Leriche dans Soleils atikamekw.

« Ce film-là, c’est une voix pour nous. Une voix qui va faire en sorte qu’on va en entendre parler », dit la comédienne Lise-Yolande Awashish avec espoir. Soleils atikamekw s’attarde moins à la tragédie elle-même qu’à son impact dévastateur sur la communauté tissée serré de Manawan. Elle montre un village entier sonné par la perte de cinq de ses habitants et l’indifférence avec laquelle les autorités traitent les victimes et leur famille.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

L’acteur Jacques Newashish

« Le fait d’avoir mis ça en images, c’est fort, estime l’acteur et sculpteur Jacques Newashish, vu récemment dans Bootlegger de Caroline Monnet. Le soir de la première [à Manawan], j’ai senti tout le poids du drame. On le sent tout au long du film et on en sort bouleversé, épuisé émotionnellement. Le fait qu’il n’y ait pas eu de justice, ça nous rentre dedans aussi. »

Je pense que tout le monde est choqué par ça, mais encore plus les Autochtones, parce que ce n’est pas la première fois que ça arrivait, une injustice comme ça, ou qu’il n’y ait pas de justice pour nous.

Jacques Newashish, acteur

Deux solitudes

Chloé Leriche a entendu parler de la tragédie survenue en 1977 alors qu’elle travaillait sur son premier film, Avant les rues, aussi produit avec la collaboration du conseil de bande de Manawan. « Ça ne m’intéressait pas tellement à l’époque », avoue-t-elle. La cinéaste a toutefois changé d’idée avec la mise sur pied de l’enquête sur les femmes autochtones assassinées et disparues et de la commission Viens sur les relations entre les Autochtones et les services publics au Québec.

Que cinq personnes d’une même communauté puissent se noyer sans qu’il y ait par la suite une enquête sérieuse lui a finalement semblé un évènement qui méritait d’être décortiqué sur le plan social. Le portrait qu’elle fait des relations entre Autochtones et Blancs en 1970 est dévastateur : les policiers insensibles et impatients, le coroner expéditif, les familles abandonnées à leur douleur, et personne ne leur prête attention lorsqu’elles pointent des éléments qui indiquent que cette tragédie n’était peut-être pas qu’un malheureux accident.

Chloé Leriche ne prétend pas faire toute la lumière sur le drame. Son film est une interprétation des évènements réalisée au terme d’une enquête qui a puisé dans les souvenirs et les rêves des familles endeuillées. Son approche, bien que très réaliste, est d’ailleurs empreinte de poésie. Sa mise en scène s’attarde beaucoup à la nature et crée aussi des images d’une grande puissance symbolique.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Chloé Leriche, cinéaste

Douloureux souvenirs

Soleils atikamekw est un film direct, mais délicat. Ce tact s’imposait pour Chloé Leriche, comprend-on. La cinéaste raconte en effet une histoire qui ne lui appartient pas et dont certains protagonistes sont encore vivants. Sans compter qu’en brisant le silence qui entoure cette tragédie, elle réveille aussi de douloureux souvenirs dans les communautés atikamekw qui l’avaient, elles aussi, enterrée.

« Ça a ouvert la discussion », estime Oshim Ottawa, interprète de Philippe Flamand, qui était l’oncle de son père. Le jeune acteur et musicien (il fait partie du groupe Red Rockers) ne s’y intéresse lui-même que depuis que la sœur d’une des victimes, Angèle Petitquay, a fait pression sur les autorités pour qu’une véritable enquête soit menée. Ce fut le cas en 2016, avec des résultats décevants pour les familles.

Huit ans plus tard, Lucie Petitquay, la mère d’Angèle, ne souhaite qu’une chose, selon son interprète, Lise-Yolande Awashish. « Je lui ai demandé ce qu’elle souhaitait [avec ce film], raconte-t-elle. Elle m’a dit qu’elle voulait seulement connaître la vérité avant de mourir. »

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