C’est l’histoire d’une jeune fille, Clara, issue d’une communauté religieuse tissée serré, qui part un beau jour pour Montréal, à la recherche de sa sœur adorée évadée. Du jour au lendemain et un peu malgré elle, ses repères, ses certitudes, bref, sa vie, s’écroulent. Il est où, le droit chemin, finalement ? Existe-t-il seulement ?

C’est ce préambule un peu alambiqué qui est à l’origine de Sur la terre comme au ciel, mettant en vedette Lou Thompson (Le pacte), dans son premier rôle au grand écran (dans un long métrage, et quel rôle !), un film lyrique au scénario a priori plutôt insolite, quoique finalement pas tant que ça. C’est qu’une fois la proposition acceptée, il y sera beaucoup question de découvertes, mais surtout d’émancipation, de doute et de pensée libre. Le tout, en déambulant à travers les rues animées de la métropole, gros plans sur ses gratte-ciel, ses œuvres murales colorées et ses vélos fleuris.

Certes, ce n’est pas tous les jours qu’on parle de communautés chrétiennes contemporaines au cinéma québécois. Les sectes ne font pas vraiment partie du paysage médiatique, sauf quand scandale il y a. Et il n’y a rien de cela ici, faut-il le signaler. Point d’histoire d’abus ou de magouille à l’horizon.

« Ce n’est pas la question religieuse qui m’intéresse tant que ça », explique en entrevue Nathalie Saint-Pierre (Ma voisine danse le ska, Catimini), scénariste, réalisatrice et productrice du film, qui vient de remporter plusieurs prix au Festival du film canadien de Dieppe, dont le Grand Prix du jury et le Prix d’interprétation. Ce dernier a été remis aux deux comédiennes Lou Thompson (Clara) et Édith Cochrane (sa tante Louise), qui incarnent deux personnages assez antagonistes, merci, dialogues crus et savoureux en vue.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La réalisatrice Nathalie Saint-Pierre

Je voulais montrer un personnage [Clara] qui découvre pour la première fois Montréal […] à une époque où on a tous notre vérité, dans un monde de certitudes.

Nathalie Saint-Pierre, réalisatrice

À noter qu’il n’est pas nécessaire d’être dans un mouvement religieux pour être « endoctriné », glisse-t-elle. « On est tous dans des chambres d’écho, et dans toutes sortes de sphères, il y a des gens qui ont des réponses... »

Un fait vécu

N’empêche qu’il faut savoir que l’idée originale (de Marika Lhoumeau, coscénariste) vient effectivement d’un fait vécu, aussi inédit puisse-t-il sembler. « C’est une histoire qui est arrivée dans sa famille, confirme Nathalie Saint-Pierre. Il y a 25 ans, quelqu’un est parti vivre dans une communauté d’obédience chrétienne protestante. » Des années plus tard, son enfant, jusqu’ici inconnue au bataillon, est débarquée à Montréal. « Elle avait quitté la communauté. »

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Clara (Lou Thompson) part à Montréal pour chercher sa sœur évadée.

On n’en saura pas plus. « Je ne voulais pas cibler une communauté », répète la réalisatrice. Si elle a choisi une congrégation chrétienne, quelque part autour de Maniwaki, c’est pour des raisons pratiques. « Très rapidement, on comprend les codes », fait-elle valoir. Pensez : hiérarchie, règles morales et sacro-saint chemin. Nathalie Saint-Pierre a aussi inventé un mot, « les égarés », pour parler de tous ceux qui ont dévié, ou sont sortis du fameux chemin dans le film (ou qui n’y sont jamais entrés). Des Moldus, si on veut. Mais sachez que seules les 15 premières minutes du récit se déroulent à ce mystérieux endroit. L’essentiel du propos est ailleurs.

Mon but, ce n’était pas de dénoncer une communauté religieuse, […] je voulais montrer l’émancipation.

Nathalie Saint-Pierre, réalisatrice

Lou Thompson convaincante

Parlant d’émancipation, Lou Thompson, drôlement convaincante en jeune religieuse aux sourcils froncés parachutée dans la ville aux mille clochers (mais aux portes verrouillées), n’est pas peu fière d’avoir décroché ce premier « beau » grand rôle « riche et intéressant ! » « Je le voulais vraiment ! » Après avoir été partout, Dieu n’est ici nulle part, constate-t-elle, à son plus grand désarroi. « Elle découvre pour la première fois tout ce que moi, je connais déjà. C’était comme replonger dans la découverte », raconte-t-elle, que ce soit la ville, certes, mais aussi la musique, la danse, l’amitié ou la trahison. Pour peaufiner son rôle, la comédienne n’a lu que quelques passages de la Bible, et le tour était joué. « Je la comprenais, dit-elle, c’est aussi simple que ça ! »

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Édith Cochrane se félicite de ce rôle d’« envergure ».

Quant à Édith Cochrane, qui incarne ici la tante Louise, aux antipodes de sa nièce, extravertie et sans filtre (il faut l’entendre parler des « Jesus freaks » !), elle ne cache pas avoir fait diverses recherches sur l’alcoolisme, par souci de réalisme. Son personnage, qui sirote sa vodka dans une gourde au volant chaque matin, plus complexe qu’il n’en a l’air, l’a visiblement sortie de sa zone. « Un personnage de cette envergure, drôle et bouleversant, c’est ce que j’attendais ! Qu’on me voie dans autre chose ! », se félicite-t-elle.

« J’aime dire que les évènements ne sont pas autobiographiques, reprend Nathalie Saint-Pierre, mais les émotions et les préoccupations le sont. » Entre autres : chercher son fameux chemin, droit ou pas (« moi, ç’a été compliqué ! », dit celle qui a d’abord étudié en administration), l’alcoolisme (« mon père en est mort ») et l’importance du doute. « Méfie-toi de ceux qui savent ! », glisse la réalisatrice, paraphrasant un de ses personnages, d’une réplique parmi tant d’autres qui invite ici à la réflexion.

En salle le 12 avril