Dans Juste entre toi et moi, le journaliste Dominic Tardif se prévaut d’un grand luxe, celui du temps. Toujours quelque part entre le rire et l’émotion, entre la riche réflexion et l’anecdote à bâtons rompus, ces entretiens sont autant d’occasions permettant à des personnalités médiatiques et culturelles d’aller au bout de leur pensée.

La phrase est tirée de l’inoubliable monologue que livre Luc Picard à la toute fin du premier film qu’il a réalisé, L’audition (2005), comme une lettre d’adieu de son personnage de collecteur à ce fils qu’il ne connaîtra jamais : « Dis-toi que si t’arrêtes de trouver la vie mystérieuse, c’est parce que tu joues fessier. » Luc Picard, lui, n’a jamais cessé de trouver la vie mystérieuse.

Pourquoi ? « Parce que la vie, c’est mystérieux ! s’exclame-t-il. Quand tu arrêtes de la trouver mystérieuse, c’est parce que tu ne risques plus, que tu restes dans les sentiers battus. C’est ça qui fait que tu ne la trouves plus mystérieuse. C’est ça, jouer fessier. Dès que tu vas te remettre à risquer, il va y avoir des gros bouts que tu ne comprendras pas. »

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Avant de s’en remettre à cette « impulsion têtue » qui l’habitait depuis toujours et qui lui intimait de devenir acteur, Luc Picard a bien tenté de fuir cette peur qui le tenaillait dès qu’il s’imaginait prendre le risque de s’écouter. Baccalauréat en finances et marketing, DEC en psychologie, mineure en criminologie : le gars de Lachine, né dans un milieu modeste, s’est beaucoup cherché.

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Luc Picard

« Mais à 22, 23 ans, je suis arrivé à la conclusion que je ne pourrais pas vivre une vie normale », confie celui qui, enfant, commentait avec sa mère les films qu’ils regardaient ensemble.

Je ne me voyais pas dans un bureau, de 9 à 5, même si on me payait un demi-million.

Luc Picard

Au Conservatoire d’art dramatique de Montréal, un professeur lui conseillera « d’essayer de se faire peur une ou deux fois par jour », une ligne de conduite à laquelle il adhère, dans ses choix de rôle, notamment, parce qu’il n’existe pas plus efficace manière de se sentir en vie, de demeurer ce gamin qui joue, que de se tenir au bord du précipice. Se faire peur, résume-t-il, « c’est ce qui fait que le temps passe moins vite ».

Faire quelque chose

Prendre un risque, c’est aussi parfois, tout simplement, faire honneur à ses convictions. Le 21 février dernier, Luc Picard a publié dans La Presse sa « Lettre à un jeune Palestinien », dans l’espoir de mobiliser l’opinion publique face aux tragiques évènements se déroulant dans la bande de Gaza. « L’opinion publique occidentale est le meilleur espoir pour arriver à une résolution là-bas », croit-il.

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Sans montrer du doigt qui que ce soit, le réalisateur s’étonne que la communauté artistique soit essentiellement demeurée silencieuse face à cette horreur. Comment se l’expliquer ? « On a moins le droit à l’erreur qu’avant, regrette-t-il. Si t’es condamné à toujours dire la bonne affaire, tu te checkes tout le temps, et si tu te checkes tout le temps… On ne peut pas le nier, les gens font plus attention. »

Luc Picard a un jour dit, en parlant de son défunt ami Pierre Falardeau, préférer « quelqu’un de sincère qui se trompe parfois à quelqu’un de menteur qui a toujours raison ».

Le problème, ajoute-t-il, c’est qu’on vit « à l’époque des menteurs qui ont toujours raison ».

Quitte à se tromper, l’acteur d’Octobre et de 15 février 1839 continue de nommer, ou dans ce cas-ci d’écrire, ce qui lui semble essentiel. Mais revendiquer le droit à l’erreur n’équivaut pas à dire n’importe quoi, et c’est ainsi qu’il aura mis beaucoup de précautions dans la rédaction de cette lettre, afin de s’assurer de ne pas alimenter l’antisémitisme, par exemple.

« Ce n’était pas juste pour me protéger, c’est aussi parce que je pense que c’est la bonne approche d’avoir un discours qui soit rassembleur et ouvert », explique celui qui précise s’être concentré sur les chiffres, ahurissants, qui parlent d’eux-mêmes. « Ce n’est pas un concours d’humanité. Toutes les humanités se valent. »

À quoi un si petit geste peut-il être utile face à l’ampleur d’une situation tentaculaire ? « C’est sûr qu’une lettre, c’est minime. Ça ne sert pas à grand-chose, mais ça ne sert pas tout à fait à rien. Ne rien faire, ça, ça ne sert à rien. »

Ne pas se perdre

« La vie, c’est un mystère, il y a juste les grandes personnes qui pensent le contraire », observe Luc Picard, toujours à travers la bouche de son personnage de L’audition. Une maxime dans laquelle se trouve contenu tout son rapport à l’hypocrisie du monde des adultes, un des leitmotivs de son œuvre.

« J’ai tendance à aller là quand j’écris, parce que c’est ça que je fais dans la vie, jouer, comme les enfants le font, souligne-t-il.

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Luc Picard en entrevue

J’ai comme l’impression que la vie t’offre plein de compromis et que c’est une bataille de revenir à la case départ, de toujours essayer de garder cette case départ proche de qui tu es vraiment. Et qui tu es vraiment, c’est qui tu es quand t’as 7, 8 ans. Après ça, les mauvaises peurs embarquent. Tu te mets à rire quand ce n’est pas drôle.

Luc Picard

En tant que créateur, Luc Picard se tient le plus loin possible du compromis. Des projets strictement alimentaires, sa filmographie en contient peu, autant par choix que par chance. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’accepte de participer qu’à des films sérieux, la comédie romantique Chez les beaux-parents, dans laquelle il incarne le père d’Evelyne Brochu, en étant la preuve.

« Mais des vrais compromis, j’essaie de garder ça au minimum. Pas par prétention, mais pour prendre soin de mon instrument. Et il se trouve que mon instrument, c’est moi. Si je me compromets trop, je vais me perdre et je ne saurai plus pourquoi je fais ce que je fais. »

Chez les beaux-parents est à l’affiche

Trois citations tirées de notre entretien

À propos de Michel Chartrand

« C’était un homme très charmant, une des humanités les plus authentiques que j’ai rencontrées de ma vie. […] Je crois qu’il n’avait pas peur. Toutes les peurs que nous, on a, lui, il ne les avait pas. Et aussi, je pense qu’il aimait la vie, donc il faisait confiance à la vie. Il ne calculait pas les affaires. Il disait ce qu’il pensait et il pensait ce qu’il disait. »

À propos de Pierre Falardeau

« Il était très drôle, Pierre. On parlait de politique, d’actualité, de sport, beaucoup de cinéma. Il me posait beaucoup de questions sur le jeu : “Comment tu fais pour aller à telle place ?” Mais Pierre était fasciné par les métiers en général, par n’importe quel métier. Un briqueteur, il aurait pu lui poser des questions pendant des heures. Il trouvait ça beau. C’est un gars qui s’intéressait à l’humanité. »

À propos de la performance de son fils Henri dans Le plongeur

« C’était bouleversant. J’étais tellement nerveux que j’ai dû regarder le film deux, trois autres fois pour vraiment l’apprécier. Le soir de la première, dès que je suis allé voir Henri, je suis parti à brailler. Il y avait beaucoup, beaucoup d’émotions. C’était intense. J’étais vraiment juste ben amoureux. »