Une jeune fille au regard déterminé fonce en scooter dans la nuit. Elle s’arrête devant une vitrine, la fracasse, puis s’empare d’un veston. C’est sur ce geste, aussi violent que métaphorique, que s’ouvre La Vénus d’argent, un récit initiatique au féminin porté par la chanteuse française Pomme, Claire Pommet de son vrai nom, dans sa toute première incursion au cinéma.

Et disons-le d’emblée, le rôle lui va comme un gant. Ou plutôt un veston, une chemise et un pantalon volés, que son personnage « neutre » portera d’ailleurs presque tout le long, dans sa volonté de se sortir de sa banlieue parisienne, de son quotidien et de son destin, en perçant un milieu où on ne l’attend pas : la haute finance.

Redéfinir les codes

Née d’un père gendarme et ayant grandi sur une base militaire, Jeanne, aussi brillante, bûcheuse et compétente soit-elle, n’est pas destinée à cet univers bancaire, archi masculin. Pour y arriver, elle va mêler les codes, brouillant les frontières entre le masculin et le féminin. D’où le fameux veston. « Je suis neutre, comme les chiffres », dira-t-elle même à un patron (interprété par Sofiane Zermani, rappeur français mieux connu sous le nom de Fianso) d’une voix monocorde, et surtout sans émotion, tel un véritable robot.

« Ce film aborde plein de thèmes importants, et propose un personnage féminin qu’on n’a pas beaucoup vu au cinéma, qui redéfinit les codes de la féminité et du genre », se félicite aussi la principale intéressée, rencontrée le mois dernier.

Pour moi, Jeanne, c’est un personnage en construction qui joue avec son identité. […] Du coup, n’importe qui peut s’identifier.

Claire Pommet, chanteuse et comédienne

PHOTO FOURNIE PAR K-FILMS AMÉRIQUE

Claire Pommet et Niels Schneider

Entre autres thèmes ici abordés, soulignons la question de la classe sociale (et la difficulté d’en sortir), le consentement (omniprésent, dans une relation particulière avec un certain Augustin, incarné par Niels Schneider), et surtout l’ambition, un trait de caractère que partage largement Claire Pommet avec son personnage. « Elle n’a pas de limite, elle est prête à tout pour aller au bout de son projet. [...] Et il y a quelque chose dans son ambition presque masculine où je me reconnais dans la vraie vie. [...] La musique, c’est quand même beaucoup un business ! »

S’il n’y a qu’une chose à retenir du film, c’est bien celle-là, ajoute-t-elle : « l’ambition, voir grand, c’est ça qui est important ! »

PHOTO CAROLE BETHUEL, FOURNIE PAR K-FILMS AMÉRIQUE

Claire Pommet dans une scène de La Vénus d’argent

Si vous voyez dans la vitre brisée en introduction une sorte de métaphore du plafond de verre, vous voyez juste. « J’aimais cette idée de transfuge de classe », explique à son tour Héléna Klotz (L’âge atomique, 2012), la réalisatrice, de passage à Montréal le mois dernier. « Le personnage casse un plafond de verre qui l’écrase. » Et tant qu’à y voir une symbolique, Pomme sort du même coup de son rôle de chanteuse pour devenir une actrice. « Il y a quelque chose de très initiatique », confirme la réalisatrice.

« Thriller féminin »

Il faut savoir que cette Vénus d’argent, en référence à la statuette mascotte de la Rolls-Royce, ce « thriller féminin », comme le qualifie Héléna Klotz, n’a d’abord pas du tout été pensé comme tel. « À la base, c’était l’histoire d’un jeune garçon. » Une histoire inspirée de son ancien petit copain, mort d’une surdose, il y a un peu plus de 10 ans, révèle-t-elle, d’une confidence aussi inédite qu’émotive. « Il passait des entrevues d’embauche pour devenir trader, et le soir du dernier entretien, il a fait une overdose... », laisse-t-elle tomber, les yeux tout à coup pleins d’eau. « J’ai voulu écrire une histoire là-dessus, c’était un moyen pour moi de sortir de cette injustice. J’avais envie de le faire revivre. »

Mais le récit était « trop triste », enchaîne-t-elle. « Trop tragique. » D’où l’idée de lui substituer une jeune fille, une certaine Jeanne Francœur, âgée de 24 ans, et d’y insuffler du même coup une bonne dose de féminisme. « J’ai voulu écrire pour une jeune femme, et pas quelqu’un qui meurt, parce que je voulais qu’elle ait le choix. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Héléna Klotz, réalisatrice

Je trouvais ça beau : qu’une jeune femme qui n’est pas née au bon endroit puisse se créer un avenir.

Héléna Klotz, réalisatrice

De là à voir ici un film sur la non-binarité, il y a un pas que la réalisatrice refuse de faire. « Je n’ai pas écrit un personnage non binaire, nuance-t-elle. Ce n’est pas le sujet du film. C’est l’histoire d’une jeune femme qui va prendre les habits du clan, le costume du dominant [...] et se construire. »

Jeanne est finalement un personnage qui sort de toutes les cases et qui se définit par lui-même, insiste-t-elle. Une sorte de « chrysalide », comme elle dit, qui refuse qu’on l’assigne ici ou là. « C’est une femme en invention de la femme qu’elle veut être. »

Parlant de choix, celui de Claire Pommet dans son personnage principal allait pour elle de soi. « Je ne me voyais pas prendre une actrice lambda, je voulais faire un choix politique et prendre un risque. » Tout comme le personnage, Claire Pommet « fait une rupture dans un monde », c’est une « étrangère », quoi. Elle sort de sa case et se construit, pourrions-nous ajouter ici.

« Et j’aimerais vraiment que les jeunes puissent se projeter, qu’ils se disent qu’ils ont raison d’être ambitieux, et qu’ils peuvent s’inventer comme ils veulent, conclut la réalisatrice. Ils peuvent faire des choix ! »

En salle le 22 mars