(Paris) Pour son cinquième long métrage, dont les têtes d’affiche sont Virginie Efira et Roschdy Zem, Rebecca Zlotowski a plongé dans sa propre histoire pour raconter une situation rarement traitée au cinéma, soit celle de quelqu’un qui, dans le cadre d’une relation amoureuse, s’attache à un enfant qui n’est pas le sien.

Au départ, la réalisatrice de Grand Central ne voyait pas vraiment l’intérêt de s’inspirer d’une situation qu’elle a déjà vécue elle-même, trouvant celle-ci trop banale pour en faire un film. Les enfants des autres relate le parcours d’une femme de 40 ans désirant être mère, mais qui ne l’est pas. Et qui élève en partie une fillette de 4 ans, à qui elle s’attache beaucoup, dont son amoureux est le père.

« Cette situation n’est survenue qu’une seule fois dans ma vie, a expliqué la cinéaste au cours d’un entretien qu’elle nous a accordé dans le cadre des Rendez-vous du cinéma français d’Unifrance. Mais je me suis finalement rendu compte que de devoir dire au revoir à un enfant qu’on a aimé sans qu’il soit nôtre est non seulement un très grand déchirement, mais constitue aussi un moment romanesque que le cinéma n’avait pas encore vraiment raconté. »

PHOTO MARCO BERTORELLO, AGENCE FRANCE-PRESSE

Roschdy Zem, Callie Ferreira-Goncalves, Rebecca Zlotowski et Virginie Efira étaient à la Mostra de Venise l’an dernier. Sélectionné en compétition officielle, Les enfants des autres était en lice pour le Lion d’or.

Un sentiment d’impuissance

Abandonnant son projet d’adaptation du roman de Romain Gary Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, qui traite de l’impuissance, la cinéaste a progressivement vu apparaître sa propre impuissance face à sa condition de « belle-mère ». Rebecca Zlotowski fait d’ailleurs remarquer qu’on utilise ce terme à défaut d’autre chose, aucun mot de la langue française ne décrivant celle ou celui qui entre dans une famille à titre d’amoureux de la mère ou du père d’un enfant. Un rôle sans nom, en quelque sorte.

« Et puis la pandémie est arrivée, souligne la réalisatrice. Cela ne change pas grand-chose dans la vie d’une scénariste, car on vit pratiquement en situation de confinement en permanence. La seule – et très grande – différence est qu’en temps normal, on peut quand même sortir de chez soi pour s’inspirer, d’autant que je m’intéresse souvent à des choses qui me sont complètement étrangères. Là, j’ai dû faire l’inverse et m’inspirer de la seule personne que j’étais en mesure de voir : moi ! »

PHOTO GEORGE LECHAPTOIS, FOURNIE PAR SPHÈRE FILMS

Virginie Efira et Callie Ferreira-Goncalves

Les enfants des autres est ainsi devenu le plus autobiographique des longs métrages qu’a réalisés celle qui fut révélée en 2010 grâce à Belle épine, lauréat du prix Louis-Delluc du meilleur premier film. La vie a toutefois réservé à la cinéaste l’un de ces coups du destin dont elle a parfois le secret.

« Je suis tombée enceinte en fabriquant le film, alors que je n’y croyais plus ! confie Rebecca Zlotowski. Ce cadeau de la vie a forcément changé mon regard sur ce projet. J’avais écrit le scénario dans un état d’empathie très forte pour le personnage, peut-être même un peu trop grand. Attendre un enfant pendant le tournage a créé une espèce de distance et m’a permis de prendre un moment de recul. J’ai gommé les choses trop personnelles pour en faire une véritable histoire de fiction, qui tend davantage à l’universalité, je crois. »

PHOTO GEORGE LECHAPTOIS, FOURNIE PAR SPHÈRE FILMS

Virginie Efira et Roschdy Zem

Deux acteurs au sommet de leur art

Si le rôle du père a été écrit spécifiquement pour Roschdy Zem, un comédien que la cinéaste connaît bien pour l’avoir dirigé dans la série télévisée Les sauvages, celui de la femme amoureuse n’a pas été dévolu automatiquement à Virginie Efira, même si les deux femmes se tournaient autour depuis un bon moment.

« Quand j’ai écrit le scénario, j’avais quand même en tête la voix et la manière de parler de Virginie, précise-t-elle. Cette actrice a une façon d’être émouvante sans être une victime. D’être féminine sans être dans la minauderie. D’être séduisante sans être dans la coquetterie. C’est une observatrice cérébrale, mais spontanée. Et puis, Virginie incarne vraiment son âge, dans toute sa force et sa fragilité. On se disait depuis longtemps que nous avions quelque chose à vivre ensemble. »

« Quant à Roschdy, poursuit-elle, j’avais envie de déconstruire un peu l’image très archétypale de la virilité qu’il peut dégager. On lui a rarement donné des rôles d’amoureux. Ici, il n’est ni flic, ni voyou, ni méchant, juste amoureux. Ça nous a aussi amusés de renverser le rapport à la nudité. La scène où Virginie est nue est comique alors que celle où Roschdy l’est est gracieuse. Traditionnellement, on a plutôt tendance à voir le contraire. »

Ayant le sentiment de proposer le plus personnel de ses films, la cinéaste voit peut-être en ces Enfants des autres la fin d’un cycle.

« Habituellement, le tout premier long métrage se révèle le plus intime parce qu’un cinéaste aura tendance à y mettre beaucoup de lui-même. Dans mon cas, c’était très pudique, très masqué. Les enfants des autres se pose en écho à Belle épine. C’est un peu comme si j’avais clos un cycle avec cette jeune femme – Léa Seydoux est une actrice extraordinaire avec qui je n’en ai pas fini – que je retrouve plus tard sous les traits de Virginie. Ces deux personnages n’ont pas le même prénom, mais elles portent le même nom de famille. J’ai le sentiment que mon inconscient a travaillé au fil des ans de manière souterraine pour faire de ces films des explorations très personnelles. »

Les enfants des autres prendra l’affiche le 16 juin.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.