Remarqué à Sundance et à Berlin, Past Lives est une odyssée spatiotemporelle sur la nécessité d’accepter les changements du quotidien. Un premier long métrage qui établit déjà une signature forte : celle de Celine Song. Rencontre.

La scène d’introduction de Past Lives pique instantanément la curiosité. Nora (Greta Lee, de la série Russian Doll), une femme d’origine asiatique, est entourée de deux hommes. On apprendra plus tard qu’il s’agit de son mari Arthur (John Magaro, un des héros de First Cow) et de son amour de jeunesse Hae Sung (Teo Yoo, inoubliable dans Leto). Le trio semble en harmonie même si un malaise subsiste.

Cette situation est réellement arrivée à la cinéaste Celine Song et elle devient la pierre angulaire de cette histoire éminemment personnelle. « C’était si spécial pour moi d’être assise entre mes deux âmes sœurs de mondes différents, relate-t-elle au cours d’un entretien qu’elle nous a accordé en visioconférence. C’est comme si le temps et l’espace s’effondraient. »

Cet ambitieux long métrage n’a rien à voir avec les romances traditionnelles sur fond de triangle amoureux. Il est plutôt à classer dans la catégorie sélecte des réflexions sur le destin et les trajectoires de vie, aux côtés d’In the Mood for Love de Wong Kar-wai, du Hasard de Krzysztof Kieslowski et de la trilogie Before de Richard Linklater. Une méditation mélancolique sur les choix que l’on fait qui finissent par influencer le reste de notre existence.

« Ce sont des questions existentielles qui me passionnent », lance avec énergie la réalisatrice trentenaire, qui a précédemment écrit quelques pièces pour le théâtre.

La façon dont le temps peut nous façonner me fascine. Parfois, je sens que je suis encore une fillette de 12 ans, même si je sais pertinemment que je ne le suis plus. C’est une contradiction qui est au cœur du film, qui est importante à saisir et à montrer, parce que je crois qu’elle est intimement liée à la condition humaine en général.

Celine Song

Le passé rôde comme un fantôme

Le récit présente d’abord sa protagoniste Nora, âgée de 12 ans, qui habite la Corée du Sud et qui noue une amitié fusionnelle avec un garçon de son âge, avant de devoir déménager en Amérique du Nord. Ils se retrouvent 12 ans plus tard grâce aux réseaux sociaux, mais n’arrivent pas à se rejoindre dans le monde réel. Ce n’est que 12 ans plus tard qu’ils pourront se rencontrer en chair et en os.

« C’est un film sur trois au revoir, dont deux sont mauvais et un bon, analyse sa scénariste. Ils sont trop jeunes pour le premier, trop loin pour le deuxième et tout devient possible pour le troisième. »

Afin d’orchestrer ces retrouvailles dans la Grosse Pomme, Celine Song recourt au pouvoir du cinéma, utilisant notamment l’image pour exprimer visuellement les souvenirs et le passage du temps. Cela est particulièrement palpable lors d’une scène clé qui arrive tardivement, alors que Nora se trouve dans la rue, aux côtés d’Arthur, et qu’elle regarde Hae Sung s’éloigner.

« Il faut voir la rue comme une ligne du temps, explique celle qui a participé à la rédaction de quelques épisodes de la série The Wheel of Time. Nora va retrouver Hae Sung. Elle marche vers la gauche comme si elle retournait dans le temps. C’est seulement quand elle revient vers la droite, vers le présent et l’avenir, qu’elle peut faire le deuil de son enfance, de la petite fille qu’elle était, et devenir la femme qu’elle sera. »

Recommencer à zéro

Cette idée qui participe à l’élaboration d’une identité propre n’est pas seulement temporelle. Elle prend également forme dans l’espace, selon le lieu où l’on habite et où l’on grandit. Comme son héroïne, Celine Song a quitté la Corée du Sud à l’âge de 12 ans pour s’installer à Toronto, avant de s’établir à New York. Le motif de l’absence n’est pas seulement lié à cet amour de jeunesse laissé derrière, mais aussi au processus d’immigration et de déracinement. Des changements irréversibles qui étaient également abordés dans l’oscarisé Everything Everywhere All at Once.

« C’est certain que ce déménagement a eu un impact majeur sur ma langue et ma culture, qu’il a formé la personne que je suis aujourd’hui, confie celle qui a été élevée par une mère artiste et un père cinéaste. Mais tu n’es pas obligé de traverser l’océan pour comprendre cela. Tu peux simplement quitter Québec pour t’installer à Montréal. L’émotion est universelle, car tu sens le poids de tout laisser derrière pour t’ériger une nouvelle vie. Ça peut te mettre dans une position inconnue, de peur et de vulnérabilité. Mais il faut accepter ces changements, parce que ce sont eux qui te construisent. »

Past Lives prendra l’affiche le 16 juin.