Tourné à Montréal, qui est ici joliment mis en valeur, Montréal Girls, qui revient tout juste du marché du film du Festival de Cannes, met en vedette des acteurs pour la plupart issus de la diversité, dirigés par une cinéaste d’origine salvadorienne, Patricia Chica. Bref, c’est « l’autre Montréal », qu’on voit si peu au cinéma, et qui sera sur grand écran vendredi.

Toute l’histoire ayant mené à la réalisation de ce film résume parfaitement la dimension internationale de Patricia Chica, qui a coécrit ce scénario mettant en scène un jeune garçon d’Afrique du Nord qui quitte son pays pour venir étudier en médecine à Montréal.

L’idée de base lui a été soumise par un ami égyptien, Kamal Iskander, son voisin à Los Angeles lorsqu’elle y habitait à mi-temps. C’est lui qui a coécrit le scénario avec elle.

« Je me suis approprié l’idée au point où cette histoire est devenue mon coming of age, nous dit Patricia Chica, parce que je viens moi aussi d’une famille traditionnelle où j’ai dû me battre pour faire du cinéma. » La cinéaste a donc raconté l’histoire de manière à ce qu’elle reflète sa propre expérience d’émancipation.

Comme le personnage de Ramy, explique-t-elle, je sais ce que c’est que de se sentir étranger dans sa propre famille. J’ai établi une connexion avec lui.

Patricia Chica, réalisatrice de Montréal Girls

Lui, c’est Hakim Brahimi. Un jeune Montréalais d’adoption, d’origine algérienne, qui n’avait aucune expérience d’acteur.

PHOTO PATRICIA CHICA, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Hakim Brahimi incarne le personnage de Ramy, un jeune immigrant venu étudier la médecine à Montréal.

Patricia Chica l’a repéré sur Instagram. « J’ai vu le côté prude et vulnérable que le personnage de Ramy devait avoir. Hakim étudiait en génie, il avait 22 ans. Je l’ai rencontré, j’ai fait des ateliers de jeu avec les autres acteurs, mais il n’était pas encore prêt… Je lui ai donc proposé de l’accompagner pour le former », nous dit la réalisatrice.

Patricia l’a pris sous son aile pendant un an, en s’inspirant d’une méthode basée sur l’énergie Chi. « C’est une méthode où l’on se sert de la méditation et de la visualisation pour être dans la même énergie que l’autre. Ça nous a beaucoup aidés de travailler de cette manière avec les acteurs du film parce qu’on a tourné en pleine crise de la COVID-19, avec toutes les restrictions sanitaires. »

L’appel de la poésie

Le personnage de Ramy, destiné à étudier en médecine après la mort de sa mère, a pourtant des aspirations littéraires. Installé chez son oncle Hani (Manuel Tadros), il fraiera avec le milieu underground montréalais avec son cousin Tamer (Jade Hassouné) et fera la rencontre de deux filles assez délurées, Désirée (Jasmina Parent) et Yaz (Sana Asad), qui l’ébranleront dans son parcours et provoqueront chez lui une profonde remise en question.

Le film, qui est en chantier depuis près de 10 ans, est sorti en salle aux États-Unis le 1er juin et sera sur nos écrans le 9 juin. Une victoire en soi pour la cinéaste, qui signe ici son premier long métrage, après avoir sorti plusieurs courts et documentaires.

Cette appellation de « Montréal Girls » laisse entendre que les filles de Montréal sont faciles… Était-ce bien ce que la cinéaste voulait dire ?

PHOTO PATRICIA CHICA, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Hakim Brahimi, entouré de Jasmina Parent (Desirée) et Sana Asad (Yaz)

« Toutes les filles de Montréal ne sont pas comme celles du film, mais on se réapproprie ce stéréotype de filles faciles que beaucoup d’étrangers accolent aux filles d’ici, pour représenter des filles qui sont certainement séduisantes et ouvertes d’esprit, mais qui ont aussi de la substance, de la profondeur et un sens spirituel, comme Désirée.

J’aime que mes personnages féminins soient libres et qu’elles aient le contrôle de leur sexualité, parce que c’est une permission que moi, je n’ai pas eue.

Patricia Chica, réalisatrice de Montréal Girls

In English

Le personnage de Ramy, qui vient d’arriver à Montréal, parle anglais, sa deuxième langue. Patricia Chica n’a pas voulu trahir cette réalité. Ce qui fait que ses interactions se passent dans la langue de Shakespeare. Est-ce que la cinéaste craint la réaction du public ? « Je pense que ça va peut-être le bousculer, mais il ne faut pas oublier que je raconte l’histoire du point de vue d’un étranger qui ne parle pas français. L’anglais est la langue du film par défaut, pas par choix. »

N’empêche que la représentation de la diversité au grand écran, dans un film campé à Montréal – dans les rues du Plateau et du Mile End – par une femme cinéaste elle-même issue de l’immigration, tout cela demeure assez rare dans l’écosystème québécois. On pense au réalisateur d’origine turque Onur Karaman (Respire, Le coupable), mais la liste est courte… Patricia Chica en est consciente.

« J’aime Montréal, c’est ma ville », nous dit la cinéaste.

PHOTO ANDRÉ DUCHESNE, ARCHIVES LA PRESSE

Patricia Chica, réalisatrice de Montréal Girls

C’est sûr que Montréal Girls ne relaie pas le point de vue des Québécois francophones, mais celui d’un étranger à travers le regard d’une cinéaste québécoise de la diversité, c’est ça la nouveauté.

Patricia Chica, réalisatrice de Montréal Girls

« Est-ce que les gens sont prêts à recevoir ça ? En tout cas, ça va changer le dialogue sur le cinéma d’ici, poursuit-elle. Mais c’est un film québécois, fait avec des acteurs et des artisans du Québec. »

Patricia Chica est maintenant sur une lancée. Elle travaille sur trois projets de longs métrages, qui seront tous tournés à Montréal. Le plus avancé porte le titre de Brotherman. « C’est l’histoire d’un jeune réfugié angolais arrivé au Canada après avoir fui la guerre et vu sa mère assassinée, nous dit la cinéaste. Il a été adopté par un agent d’immigration et il est devenu un coureur d’élite. On a transposé l’histoire à Montréal même si lui était arrivé à Vancouver. Le scénario a été écrit par une Canadienne d’origine iranienne, Hedyeh Bozorgzadeh. Je pense que ça va être un beau film. »

En salle le 9 juin