Pour sa quatrième collaboration avec la cinéaste Kelly Reichardt, l’une des égéries du cinéma indépendant américain, Michelle Williams s’est glissée dans le quotidien chaotique – mais inspirant – d’une sculptrice préparant le vernissage de son exposition. Rencontre avec deux artistes aux atomes crochus.

Ayant développé une forte amitié au fil des ans, Michelle Williams et Kelly Reichardt ne s’encombrent plus de formalités quand un projet de film se dessine. Si un rôle est destiné à celle qui, cette année, a été finaliste aux Oscars dans la catégorie de la meilleure actrice grâce à sa performance dans The Fabelmans (Steven Spielberg), l’actrice répond présente sans même savoir encore de quoi il s’agit.

« Kelly m’appelle tout simplement, ou m’envoie un message texte en me disant qu’elle aimerait me parler de quelque chose », explique Michelle Williams lors d’une entrevue accordée à La Presse en visioconférence.

Vous savez, il est très rare d’avoir ce genre de rapport dans le milieu du cinéma. Nous nous connaissons maintenant très bien et Kelly sait exactement ce que je suis en mesure d’offrir et ce que je ne peux pas faire.

Michelle Williams

« C’est un sentiment très fort et très émouvant de constater qu’une cinéaste comme Kelly souhaite retravailler avec vous. Je n’oublierai d’ailleurs jamais la deuxième fois où elle a fait appel à moi. Personne d’autre ne l’avait fait avant elle ! »

Le travail d’une artiste

Cette complicité remonte à l’époque de Wendy and Lucy, lauréat en 2009 du prix du meilleur film décerné par l’American Film Institute. Meek’s Cutoff et Certain Women ont suivi. Cette fois, la réalisatrice emblématique de la ville de Portland, en Oregon, propose dans Showing Up l’histoire de Lizzy (Michelle Williams), une artiste sculptrice dont la vie, en plus d’être chaotique sur le plan personnel, est marquée par l’arrivée d’un oiseau blessé dont elle prend soin. Cette dernière parvient toutefois à pratiquer son art malgré les conditions précaires dans lesquelles elle doit évoluer. Michelle Williams y est notamment entourée de Hong Chau (récemment citée elle aussi aux Oscars grâce à son rôle dans The Whale, de Darren Aronofsky) et d’André Benjamin.

PHOTO CHRISTOPHE SIMON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Michelle Williams et Kelly Reichardt ont lancé Showing Up au Festival de Cannes l’an dernier. Le film était en lice pour la Palme d’or.

« Le grand défi dans ce projet était de trouver les œuvres qui correspondaient au personnage et avec lesquelles Michelle pouvait travailler, indique la cinéaste au cours de cette entrevue commune. Le déclic s’est fait quand je suis tombée sur l’œuvre de la sculptrice Lee Bontecou, qui a une certaine ressemblance physique avec Michelle. Comme je sais Michelle toujours partante, je lui ai fait parvenir un gros bloc d’argile et des outils afin qu’elle puisse apprendre à travailler le matériau grâce à des cours à distance que lui a donnés Cynthia Lahti, à qui l’on doit les sculptures de Lizzy dans le film. »

Au cœur du scénario, que Kelly Reichardt a écrit avec son fidèle complice Jon Raymond, figure également une histoire d’amitié entre deux femmes exerçant le même métier. Le déséquilibre de cette relation réside cependant dans la position de l’une par rapport à l’autre, Jo (Hong Chau) étant la propriétaire de l’appartement pour lequel Lizzy a du mal à payer son loyer. L’idée de s’inspirer de la vie de la peintre Emily Carr qu’ont eue les deux scénaristes au départ a par ailleurs vite été écartée quand ces derniers ont réalisé à quel point l’artiste canadienne avait un statut d’icône au nord de leur frontière.

« Nous ne voulions pas faire le portrait d’une artiste connue. Il m’importait de montrer plutôt les problèmes qu’affrontent quotidiennement des artistes ayant du mal à vivre de leur art, précise la réalisatrice, dont le long métrage précédent est First Cow. Ce travail est parfois difficile, mais il est essentiel à la vie de ces personnes. J’enseigne le cinéma et je dis souvent aux étudiants à quel point il faut être passionné pour faire de l’art parce que le travail au quotidien n’est pas toujours facile. »

Une expérience de vie

Comprendre l’état d’esprit d’une artiste créant manuellement des œuvres fut pour Michelle Williams la porte d’entrée vers son personnage.

J’ai eu la chance de voir Cynthia Lahti travailler de très près, dans son atelier. Voir une artiste aussi engagée dans la pratique d’un art auquel elle consacre pratiquement sa vie est très émouvant. En être témoin et tenter de ressentir soi-même ce que ressent l’artiste au travail est quelque chose de très marquant.

Michelle Williams

Lancé l’an dernier au Festival de Cannes, où il était en lice pour la Palme d’or, Showing Up est le quatrième volet d’une association professionnelle féconde entre une réalisatrice et une comédienne partageant une même conception du cinéma. Kelly Reichardt confie par ailleurs être heureuse de toujours travailler avec une échéance. « Sinon, je n’arrêterais jamais de travailler sur mon film ! », dit-elle.

PHOTO ALLYSON RIGGS, FOURNIE PAR SPHÈRE FILMS

Michelle Williams et Hong Chau dans Showing Up, un film de Kelly Reichardt

Pour Michelle Williams, un long métrage se résume essentiellement à une expérience de vie pendant le tournage.

« Pour je ne sais trop quelle raison, à cette étape de ma vie, je ne regarde jamais les films dans lesquels je joue. J’ai toutefois toujours le sentiment de vivre quelque chose d’important avec Kelly. »

Showing Up prendra l’affiche le 14 avril.