Ara Ball, réalisateur de L’amour se creuse un trou, transpose son court métrage culte de 2013, L’Ouragan Fuck You Tabarnak !, en un long métrage. Campé en 1991, L’Ouragan F.Y.T. suit un garçon de 11 ans issu d’un milieu défavorisé et d’une famille dysfonctionnelle qui prend son destin en main.

Avant de tourner le court métrage L’Ouragan Fuck You Tabarnak !, lancé en 2013 à Fantasia, Ara Ball, qui avait déjà le court métrage Bros. (2009) à son actif, fait un périple de six mois en Inde. Au cours du voyage, il rencontre des jeunes vivant dans une extrême pauvreté. Leur résilience et leur énergie lui inspireront le personnage de Delphis, alias l’Ouragan, garçon de 11 ans né de parents pauvres, qui fait les 400 coups dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve.

« Dans les années 1980 et 1990, on parlait des jeunes de rue à Montréal dans les médias ; leur situation était complètement différente de celle des jeunes en Inde, mais il y avait comme une connexion. J’ai été très affecté par ce que j’ai vu là-bas et ça a complètement changé ma vie. On dit que l’Inde change, et c’est vrai parce que je suis devenu le cinéaste que je suis après cette expérience. Sincèrement, l’Inde a été le début de tout pour moi », affirme le cinéaste.

À l’époque où il tourne son court métrage avec la somme dérisoire de 10 000 dollars, Ara Ball ne se doute pas qu’il le transposera en un long métrage une dizaine d’années plus tard. Encore moins que les institutions financières lui attribueront 3 millions pour réaliser un film résolument punk où un jeune ado crie sa révolte dans un joual décomplexé. Pour y arriver, il fera appel à Tania Duguay-Castilloux.

« Avoir la plume de Tania m’a aidé à avoir un autre regard. C’était important de donner un autre sens au film. Le court métrage est une proposition choc alors que le long métrage est une histoire, avec quelques moments perturbants. Le but du long métrage, c’était de savoir si je pouvais sauver ce garçon. »

PHOTO FOURNIE PAR FUNFILM DISTRIBUTION

Justin Labelle dans L’Ouragan F.Y.T.

Interprété à l’origine par Luka Limoges, Delphis est incarné cette fois par le nouveau venu Justin Labelle. Originaire de Mont-Tremblay, le jeune garçon a fait grande impression dès la première audition : « Quand il criait et pleurait, on sentait qu’il se passait quelque chose. On aimait beaucoup l’humanité qu’il dégageait, on en avait des frissons. Il nous a dit qu’il était touché quand il voyait des itinérants et qu’il voulait faire ce film pour eux. Pendant le tournage, qui a duré six semaines, sa voix a mué et il a grandi de deux pouces. Heureusement qu’on a presque tout tourné en ordre chronologique. »

Punk’s Not Dead

Expulsé de l’école, son père (Patrice Dubois) en prison, sa mère (Larissa Corriveau) anéantie depuis que son petit frère a été placé en famille d’accueil, Delphis fuit le domicile familial afin d’échapper à la police et à la DPJ. Bientôt, il trouve refuge à la grotte, vaste taudis occupé par une bande de punks menée par Ben (Nico Racicot). Auprès de ces jeunes laissés-pour-compte, Delphis aura l’impression de faire partie d’une famille.

« La famille, c’est pas juste l’école, les institutions, le noyau familial. La majorité de ces jeunes viennent d’un environnement brisé et ensemble, ils créent un environnement paisible à leur façon. Ce n’est pas parfait, mais il y a une forme de respect envers les hommes et envers les femmes, envers eux-mêmes. L’Ouragan n’a aucun respect pour lui-même ni pour les autres, c’est pour ça que pour la première fois de sa vie, grâce à cette famille-là, il trouve l’amour. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Le cinéaste Ara Ball

Si Ara Ball, qui se dit punk dans l’âme, a voulu camper l’action en 1991, comme il l’avait fait pour le court métrage de 2013, c’est d’abord parce qu’il souhaitait reproduire l’esthétique punk des groupes de Montréal, de New York et de la Californie. Ensuite, c’est parce qu’il désirait parler des jeunes de la rue qui squattaient les édifices laissés vacants dans les années 1980 et 1990.

« On m’a demandé si c’était possible de transposer l’histoire de nos jours. Avec Tania, on a essayé de faire l’exercice. Malheureusement, il y a des enjeux sociaux, comme la violence conjugale, qui ont changé, surtout après la COVID. Avec les cellulaires, l’internet, les jeunes de la rue ne vivent pas les mêmes affaires, les mêmes épreuves. L’histoire-là aurait été complètement différente et le joual aurait sans doute été moins présent. »

À l’instar du court métrage, L’Ouragan F.Y.T. est en noir et blanc, à l’exception du début et de la fin du film qui sont en couleur : « On en a beaucoup discuté avec le directeur photo Ian Lagarde et la production. Je voulais que l’univers fantasmé de l’Ouragan soit en noir et blanc et sa réalité en couleur. »

On est dans un autre monde avec un enfant qui décide de briser le mur, qui interpelle le spectateur comme si celui-ci était son journal intime parce qu’il n’a personne pour l’écouter s’exprimer.

Ara Ball, cinéaste

Bien que traversé de moments d’humour et d’onirisme, L’Ouragan F.Y.T. s’appuie sur de solides recherches sur le terrain, Ara Ball ayant à cœur de porter à l’écran un univers authentique peuplé de personnages criants de vérité qui vivent, parfois à leur corps défendant, des situations difficiles, révoltantes.

« Le cinéma, c’est une réflexion de la société. L’injustice, on la voit partout dans le monde, peu importe la situation politique ou sociale. Je ne voulais pas faire un film triste ou qui exprime de la rage. Plus que tout, l’Ouragan veut être entendu, écouté. Malheureusement, il est maladroit et ne comprend pas ce qu’il fait à cause de son environnement, ce qui en fait un enfant violent, mélangé. Avec ce film, je ne veux pas choquer pour choquer, mais amener le spectateur à comprendre cet enfant-là et à donner une voix à ceux qui n’en ont pas. »

En salle le 17 mai.