Dans une scène du documentaire Amy (2015) d’Asif Kapadia, le père de la regrettée artiste néo-soul Amy Winehouse débarque à l’improviste dans une île des Caraïbes où séjourne sa fille après une cure de désintoxication, avec une équipe de tournage de docuréalité. Malgré le fait que sa fille lui ait demandé de ne pas venir.

Cette scène n’apparaît pas dans Back to Black, le film de fiction de la cinéaste Sam Taylor-Johnson (en salle le 17 mai) inspiré de la vie trop courte d’Amy Winehouse, morte en 2011 à l’âge de 27 ans d’une intoxication éthylique.

Le documentaire oscarisé d’Asif Kapadia (Senna, Diego Maradona) met en cause la négligence de Mitch Winehouse dans la mort d’Amy. Le père y est présenté comme un manipulateur en quête de notoriété, imperméable aux dangers qui guettent sa fille dépressive, boulimique, alcoolique et toxicomane.

Dans une scène de Back to Black, le père tranche en faveur de sa fille lorsque son premier imprésario souhaite l’envoyer en cure de désintoxication. « I ain’t got the time, and if my daddy says I’m fine » (« Je n’ai pas le temps, et si mon papa dit que je vais bien »), chante Amy Winehouse sur Rehab, l’une des pièces les plus célèbres de son deuxième album, écoulé à 20 millions d’exemplaires. Sauf que le film de Sam Taylor-Johnson présente surtout Mitch Winehouse comme un papa gâteau dépassé par les évènements.

En préparation de son documentaire, Asif Kapadia a eu accès à des archives familiales et interviewé une centaine d’amis, parents et proches collaborateurs d’Amy Winehouse. Sam Taylor-Johnson (Nowhere Boy, Fifty Shades of Grey) et sa productrice Alison Owen (la mère de la chanteuse Lily Allen) ont aussi obtenu l’aval de la famille d’Amy Winehouse. La différence entre les deux films ? Back to Black, contrairement à Amy, ne semble pas vouloir déplaire à la famille Winehouse et a toutes les caractéristiques d’une biographie autorisée.

À l’instar de Mitch Winehouse, Blake Fielder-Civil, qui a inspiré malgré lui la plupart des chansons de l’album Back to Black, est dépeint dans le documentaire d’Asif Kapadia comme un profiteur attiré par les feux de la rampe, vivant aux crochets d’Amy. Le film de Sam Taylor-Johnson rappelle que Blake Fielder-Civil est celui par qui Amy Winehouse a sombré dans une spirale d’opioïdes. Mais il donne aussi à cette relation toxique – au sens propre et au sens figuré – des airs de comédie romantique dans laquelle le bad boy au cœur tendre est une victime des accès de colère de sa femme alcoolique.

Back to Black fait essentiellement porter le blâme de la déchéance d’Amy Winehouse sur la turpitude des paparazzis et sa propension à l’autodestruction – la chanteuse en glissait d’ailleurs un mot dans What Is It About Men sur son premier album, Frank (« My destructive side has grown a mile wide »).

Sam Taylor-Johnson s’est de nouveau associée à l’auteur Matt Greenhalgh (Control, d’Anton Corbijn, sur le chanteur de Joy Division, Ian Curtis), qui avait scénarisé son premier long métrage, Nowhere Boy, à propos des jeunes années de John Lennon, interprété par le futur mari de la réalisatrice, Aaron Taylor-Johnson.

PHOTO DEAN ROGERS, FOURNIE PAR FOCUS FEATURES

Marisa Abela dans Back to Black

Leur film a beau s’intituler Back to Black, c’est une biographie filmée à l’eau de rose d’Amy Winehouse. On a l’impression que tout y a été édulcoré et embelli : la relation d’Amy avec l’homme de sa vie (et de sa mort), incarné par Jack O’Connell ; celle avec son père assoiffé de reconnaissance (Eddie Marsan) ; comme celle avec sa grand-mère chanteuse (Leslie Manville), sur laquelle on met beaucoup l’accent pour tenter de nous émouvoir.

Marisa Abela est assez convaincante en Amy Winehouse, dans son intensité comme dans son accent cockney (c’est la voix cuivrée de la jeune comédienne que l’on entend dans les chansons interprétées à l’écran) ; même si physiquement, elle ressemble davantage à Britney Spears.

PHOTO SCOTT A GARFITT, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

La réalisatrice Sam Taylor-Johnson

Le film de Sam Taylor-Johnson – connue avant son mariage sous le nom de Sam Taylor-Wood, photographe et vidéaste célébrée – semble emprunter à l’occasion le ton d’une comédie musicale. Même s’il a été tourné sur place dans le quartier de Camden, à Londres, dans les lieux où Amy Winehouse a fait ses premiers spectacles et rencontré son mari, il donne l’impression d’être campé dans un décor en carton-pâte digne de Singinin the Rain.

Le traitement est lisse, inoffensif et hollywoodien, alors que le destin tragique d’Amy Winehouse commandait tout le contraire. Amy compose What Is It About Men d’une traite dans sa chambre d’adolescente, elle découvre Leader of the Pack des Shangri-Las grâce à Blake, qui fait mine de la chanter en dansant une chorégraphie improvisée dans un bar.

Sam Taylor-Johnson met en scène une Amy Winehouse caricaturale qui ne transcende jamais les lieux communs. Sa courte vie ainsi condensée ressemble à un roman-savon générique d’artiste célèbre. Une page Wikipédia faite film dont on aurait arrondi les angles trop tranchants, de l’adolescence heureuse dans une famille juive portée sur les arts, jusqu’à la mort, évoquée seulement dans le générique de fin.

Lorsqu’on a vu Amy, d’Asif Kapadia, évidemment, on n’y croit pas.

En salle le 17 mai